Le sunnisme comme marchepied
de la politique américaine dans le plateau arabo-musulman
Selon un entretien avec un diplomate français à Beyrouth, 1989
Pour mener à bien sa politique
arabo-islamique, l’Amérique a besoin de s'appuyer sur le lobby sunnite,
détenteur d'un pouvoir économique majeur d'une part, et d'autre part
détenteur d'un pouvoir politique en forme de coin, en quelque-sorte,
planté dans l'édifice arabe.
Bien sûr un antagonisme entre les américains et les sunnites existe sur
le fond, ne serait-ce que sur les plans spirituel ou des mentalités,
mais il est loin d'être insurmontable. L'antagonisme saoudien, pour
prendre cet exemple, reste très théorique dans la mesure où le régime
saoudien s'appuie actuellement sur une vision parfaitement matérialiste,
même si elle est enrobée par une mystique, une intolérance, un rigorisme
théorique.
Lors des événements de la Mecque : Alors que le pouvoir en place était
doté d'un matériel d'une sophistication extraordinaire, il a été dans
l'incapacité flagrante de protéger le régime et fut contraint de faire
venir des gendarmes français pour défendre le pays. Résultats : des
dizaines de conversions officielles, sur le papier, en dix minutes, pour
faire entrer les membres du GIGN et du RAID dans le pays...
Plus récemment, pendant l'opération tempête du désert, l'Arabie
Saoudite, sur son propre territoire, a été amenée à accepter l'entrée
massive d'alcool, la présence de femme en tenue courte, la circulation
de cassettes vidéo pornographiques, bref, d'autant de délits qui, dans
la vie courante, sont passibles de 10 ans de prison, de 120 coups de
fouet ou même d'exécutions capitales. Donc, sur le sanctuaire -puisque
l'Arabie Saoudite est une grande mosquée-, les américains ont réussi, et
c'est une première dans l'histoire saoudienne, à imposer un déferlement
de laxisme impensable a priori. Plus généralement, la présence sunnite
où qu'elle soit, et quelles que soient ses tendances locales, sera le
marchepied américain par excellence.
Les américains misent sur un sunnisme vassalisé, un sunnisme politique,
pour se soumettre à ce jeu. Mais l'hégémonie de la Sunna implique la
réduction de tous les arabismes, de tous les islamismes, chi'ites en
tête.
Pourquoi les sunnites : Dans le monde arabe, le sunnisme est, soit
disant à cause de son libéralisme lorsqu'il est exporté, l'une des rares
structure mentale, sociale, politique et économique à admettre un
pouvoir qui ne soit finalement pas systématiquement d'origine divine,
mais bien un pouvoir de marchand. Les américains misent sur l'instinct
mercantile du sunnisme.
Les américains envisagent la destruction à moyen et long termes de
toutes les instances, de toutes les institutions, de tous les tissus de
type monarchique ou de type personnalisé, ainsi, d'ailleurs, que celle
de tous les pouvoirs de structure féodale ou d'origine théocratique pour
leur substituer un pouvoir de type économique avec une façade
parlementaire.
L'image de marque iranienne
Dans le même ordre d'idée on ne peut plus concevoir le chi'isme iranien
comme cette puissance religieuse pure et dure, intransigeante et vouée
in eternum au combat contre l'Infidèle américain. On entretient
soigneusement cette image, notamment par les actions du Hezbollah au
Liban. Mais ce qui a été grosso modo défini à Téhéran comme stratégie
pour le Liban : c'est que le Hezbollah, désormais, est un parti qui va
se doter d'une façade, d'une notoriété publique et qui passe du stade
terroriste à un stade d'institution ayant pignon sur rue. A ce titre le
Hezbollah fait appel à tous les sentiments possibles, religieux,
politiques ou autres pour que soit ramenée la paix à l'intérieure des
familles politiques libanaises mais, parallèlement, il garde pour lui le
flambeau d'une résistance islamique ou arabe, prenant seul en compte le
problème du Sud-Liban, c'est à dire la lutte contre Israël. Mais cela,
c'est à usage interne. L'usage planétaire de la politique iranienne est
diamétralement opposé.
Après avoir connu la crise de légitimation du régime des Ayatollahs,
l'Iran en est arrivé maintenant à des relations officiellement saines
avec l'Occident, officiellement neutres en ce qui concerne les USA. En
ce qui concerne le problème israélien, l'Iran a hissé les discussions au
niveau des principes. Evidemment, les iraniens entretiennent le feu
sacré, mais on ne peut pas dire que la résistance islamique au Sud-Liban
fasse beaucoup de dégâts. S'ils le voulaient, ils auraient relancé le
terrorisme international, contre les banques par exemple. En fait, la
résistance chi'ite est actuellement devenue formelle. Or c'est là que
les diplomates occidentaux, les pouvoirs politiques occidentaux, de même
que ceux du Saint-Siège, commettent une erreur : Ils semblent penser que
le concept de solidarité islamique, qui sous-tend officiellement toutes
les actions politiques de l'Iran, l'emporterait sur toute autre
considération. Ce qui est méconnaître totalement et la psychologie, et
la civilisation iranienne en ce sens que les iraniens sont des iraniens
avant tout. L'Islam passe au second plan. Ceci même de la part des
fondamentalismes les plus exigeants au niveau politique. Or en Iran, et
ce n'est pas un hasard, depuis fin 1991, Rasthandjani n'arrêtent pas de
répéter que l'Iran est fier de sa foi, que l'Iran a ses dogmes, que
l'Iran à son internationalisme islamique mais l'Iran, disent-ils, et ils
le répètent ouvertement, est avant tout une puissance pragmatique. Ce
qui explique donc qu'actuellement l'Iran ait des accords précis, encore
que discrets, avec les israéliens en matière de non-agression, avec les
américains en matière de défense et d'échange de technologie, et avec
l'Europe aussi.
Or, et c'est ce dont il faut se pénétrer, au moment d'un grand partage
du monde, lorsque sera définitivement attribué le rôle des grands chefs,
ce qui est déjà fait, mais aussi lorsque sera défini le rôle secondaire,
mais important, des grands adjudants-chefs des continents et des
sous-continents, on verra conférer à la république iranienne, sans faire
mention de l'Islam, un rôle de gendarme local que ne peut assumer ni
l'Afghanistan, ni le Pakistan, ni l'Inde qui, d'ailleurs, est paralysée.
On verra donc conférer à l'Iran un rôle de gendarme local et, également,
et c'est très important, de gendarme spirituel.
Ce qui fait que l'Iran, tout en ménageant son image de marque de
puissance éminemment islamique, n'hésitera pas trois secondes à
sacrifier ses élans chi'ites naturels, ses élans chi'ites profonds,
spirituels, politiques et sociaux, au bénéfice, précisément, d'une
puissance économique, politique et militaire qui lui serait confiée.
D'ailleurs, le rôle de l'Iran vient d'être singulièrement élargi en ce
sens qu'avec l'accord des communautés européennes, avec l'accord de
l'Amérique et celui de la CEI, l'Iran a tout naturellement été désigné
pour servir d'intermédiaire dans cette phase délicate que traverse
l'ex-URSS. Ce qui lui confère un poids considérable. L'Iran peut, du
jour au lendemain, mettre à feu et à sang le Kazakhstan et toutes ses
provinces. Or, l'Iran, même en Arménie ou en Azerbaïdjan, fait preuve
d'une modération étonnante, et l'on ne peut pas imaginer que ce soit
pour la beauté de l'art. C'est bien dans le cadre d'un échange de bons
procédés. L'Iran accepte donc de jouer, là-bas, un rôle de modération et
de sagesse.
Il n'y a qu'à voir, par exemple, au Nagorni-Karabakh : Le réflexe
normal, le réflexe logique de la solidarité islamique aurait été
d'opérer une levée en masse d'effectifs guerriers, de volontaires, qui,
sous le couvert de la Jihad, auraient participé à un mouvement de
solidarité en faveur des musulmans. Or, là, il n'en a rien été. La
minorité chrétienne a même enregistré des succès incontestables et la
Russie, elle-même, a ébauché, bien que ce ne soit pas la première fois,
une nouvelle phase qui n'est plus un flirt mais, grosso-modo, une
alliance. Une alliance stratégique certainement, contre le monde
américain peut-être, mais surtout une alliance asiatique. Cette alliance
asiatique se résumant dans la définition d'un empire, même si c'est dans
un empire censé se désagréger, de sphères d'influence, d'un droit de
regard de l'Iran sur tout ce qui est arabo-islamique mais, en même
temps, de limites à ne pas dépasser.
Toute la politique iranienne est sous-tendue par une espèce de Yalta
invisible dont personne ne parle et qui est finalement quoi ? Au-delà de
l'acquisition du leadership par les USA, les USA, en tant que
surveillant en chef, ne peuvent pas être encore les gestionnaires
locaux. Ils délèguent donc leurs pouvoirs locaux par sunnisme ou par
chi'isme domestiqué interposés à de moyens gendarmes. Dans le cas des
syriens ils préféreraient évidemment que ce soient des sunnites syriens,
mais comme c'est un pouvoir alaouite il faut bien qu'ils en tiennent
compte (la subtilité du jeu américain est qu'ils soutiendront Affez el
Assad en attendant de pouvoir le faire basculer et de lui faire succéder
des sunnites). Dans l'autre partie du monde islamique ils délégueront
leurs pouvoirs à l'Iran et, dans la partie asiatique, à la Turquie.
Cette optique là suppose un nouveau partage ainsi que l'élimination
systématique de tous les grains de sables, de toutes les originalités,
de toutes les spécificités ou caractères marqués qui viendraient
s'intercaler dans le plan proposé. De sorte que les USA veulent
reproduire sur le plan régional, sur le plan local, et au sein des
minorités, exactement la même structure monolithique, la même structure
dictatoriale qu'ils ont réussis à imposer à la planète.
Saddam Hussein fidèle au poste
Sur un théâtre d'opération comme le théâtre irakien, le pouvoir irakien
est finalement détenu par un homme qui, pour les peuples arabes, pas
pour leurs gouvernements bien sûr, est regardé avec les mêmes yeux qu'un
Gamal Abdel Nasser ou qu'un Anouar el Saddate. Le fait est que c'est un
pouvoir qui dérange et les plans, et les structures mercantiles des
saoudiens mais, en plus, c'est un pouvoir qui échappe précisément à ce
type de mafia pour constituer une opposition clanique dont les
américains ne veulent pas. Parce-que cela crée un précédent. Et c'est
cela la grande hantise des américains. Ils ne veulent pas qu'un homme,
au sein du monde arabe -mais pas seulement du monde arabe, il y a qu'à
regarder les pressions qu'ils exercent dans les pays de l'Est- ils ne
veulent donc pas qu'un homme "providentiel" émerge, qu'un type de
pouvoir autre qu'issu des structures classifiées émergent parce-que cela
ferait boule de neige. D'ailleurs le calcul de Saddam Hussein est un
petit peu de la même espèce que celui que faisait le général Michel Aoun
au Liban : Il espère durer. Il pense que le temps qui est entrain de
s'écouler va à son avantage. Saddam Hussein pense que plus le temps va
passer, plus sera démontrée l'inanité des actions mises en jeu par Bush
ou Clinton, et plus il y aura, à l'intérieure de l'opinion publique
américaine, une prise de conscience avec un raz le bol de la logique des
interventions pseudo-onusiennes alors que, précisément, la communauté
des nations n'est pas capable de faire le moindre geste pour la
Yougoslavie, le Liban ou face à Israël qui, à ce jour, n'a jamais
respecté la moindre résolution de l'ONU. En fait, il y a une illusion de
sa part.
En tous cas le long terme est bien tracé, les américains et leurs alliés
veulent se débarrasser de ce type qui peut créer l'imprévisible et qui,
surtout, peut amener à une émulation dangereuse. On revient donc à cette
logique, à cette dialectique : il y aura un nivellement systématique des
singularités au sein du monde arabe, soit par assassinat, soit par coup
d'état ou simplement par lutte économique et, quand ils n'y arrivent
pas, là l'exemple nous est donné par l'Irak, par lutte militaire.
Je crois que c'est une des leçons qu'il va falloir retenir. On verra
disparaître toutes les personnalités marquantes du monde arabe et, en
même temps, tous les états secondaires. Et pour y arriver on
entretiendra au sein du monde arabe, et c'est à cela qu'il faut revenir
pour comprendre ce qui se passe au Liban, un état d'anarchie
indépendamment du long terme régional.
Alors pourquoi les américains n'ont-ils pas été jusqu'à tuer Saddam
Hussein, alors qu'ils auraient pu bénéficier de la bénédiction de l'ONU
et de l'opinion publique internationale pour ce faire ?
Eh bien a priori, ils ont précisément trouvé cette merveille de toujours
maintenir en état d'ébullition cette espèce d'énorme cuvette que
représentent les états arabo-islamiques depuis le continent indien
jusqu'au Golfe. Ne jamais achevé un type trop précipitamment parce que,
après une défaite même quasi totale, ce qui n'est pas le cas d'ailleurs,
le type représentera toujours un pétard qu'on pourra remettre à feu.
Parce-que, en fait, cette fameuse tempête du désert n'a abouti qu'à la
destruction d'à peine un sixième de la garde présidentielle. Et on a
même laissé en place toute la structure même militaire du pays ! Alors
il ne faut pas analyser cela en tant que réaction vis-à-vis de l'Irak
parce-que l'Irak n'est pas un but en soi, c'est un moyen. Simplement,
Saddam Hussein, lorsqu'on l'analyse en terme de potentiel économique, de
potentiel militaire, de charisme politique et de position stratégique,
Saddam Hussein est le contrepoids naturel de la Syrie. Mais il est
également placé stratégiquement parlant à un point qui permet de
contenir le problème kurde. Et c'est également un point de référence
obligatoire pour tout ce qui peut être actuellement lié aux agitations
dans les anciens pays de l'Est qui tournent leurs regards vers les
moyennes puissances arabes et vers Saddam Hussein aussi. Alors cela
permet en même temps de maintenir cette ébullition et de limiter les
prétentions syriennes.
En ce qui concerne l'ambiguïté du problème irakien, il ne faut pas
confondre la tactique et la stratégie. Car la tactique implique des
choix à courts ou moyens termes qui peuvent paraître contradictoire face
à la stratégie qui les motive.
L'exemple libanais
Ce qu'il faut comprendre c'est qu'il existe un réalisme politique qui
coiffe tous les clivages socio-politiques habituels. Une preuve
éclatante en fut donnée lors de l'invasion syrienne du Liban. En
l'espèce, la preuve manifeste est apparue qu'un statu-quo, obéissant
justement à ce réalisme politique, liait des ennemis héréditaires comme
le régime d'Afez el Assad et le régime israélien. Jusqu'au 13 octobre
1990, le statu-quo s'était limité à quelques règles essentielles comme
les lignes rouges. Or, tout à coup, le 13 octobre, nous avons observé,
par un consensus étonnant, l'aviation syrienne -qui habituellement ne
peut même pas faire passer les réacteurs du moindre avion à cinq
kilomètres d'une zone frontière sans qu'il soit abattu- autorisée à
pénétrer sur le territoire libanais, à survoler et à bombarder. Cela
avec l'utilisation d'un type précis d'avion (des Sukoy et non des Mig),
avec un rayon d'intervention de tel type, un équipement de telle nature.
Tout ceci s'est fait avec l'agrément israélo-américain, et les syriens
ont fais leur bombardement, ils n'ont pas été inquiété, ils se sont
ensuite retirés chez eux, et il était bien dit que si les syriens
devaient survoler ne serait-ce qu'une seule fois la Bêkaa, ils étaient
descendu. Or, c'est là qu'on s'aperçoit qu'il y a ce réalisme politique,
que ce soit de la part de l'Iran, de la Syrie de l'Amérique ou de l'
Israël, qui l'emporte sur tout autre considération.
La stabilité israélienne
Il y a aussi évidemment un antagonisme arabo-juif, mais Israël est avant
tout tacticien. Quelles que soient les formes épousées par la
dialectique hébreuse, quels que soient les régimes gérant l'état
d'Israël, quels-que-soient les courants, progressistes ou conservateurs,
le fond reste inchangé. Il est intangible. Israël est persuadée de ce
que ses chances de survie et, au-delà -il ne faut pas oublier
l'impérialisme hébreu-, ses chances de domination, sont assises sur
trois principes fondamentaux que ne sauraient influencer ni l'actualité,
ni les changements de régimes, ni aucun paramètre temporel.
Le premier est la nécessité vitale pour Israël de n'être en rien coupée
de sa diaspora et de ses lobbys extérieurs.
Deuxième point : la meilleure manière pour Israël de se protéger contre
une éventuelle agression est de tout mettre en oeuvre sur les plans
national, international, régional ou local, pour que soit étouffée dans
l'oeuf toute tentative d'unité, de cohésion, d'homogénéisation au sein
du monde arabe. En effet, dès qu'un homme, un régime ou un courant,
incarne une volonté de solidifier soit un ensemble étatique, soit une
alliance internationale, locale ou régionale, il représente un danger
potentiel pour Israël. Le général Michel Aoun se propose de bâtir un
régime fort, passant au-delà des confessions, risquant donc d'unir
musulmans et chrétiens sous un même drapeau, il représente fatalement
une menace pour les israéliens. En fait, dans leur optique un homme
comme Michel Aoun, se proposant de restituer au Liban un état fort,
représentait un danger majeur.
Le troisième élément d'analyse qui est indissociable de la pensée
israélienne, de la pensée juive en matière politique, en matière de
stratégie politique, sur les plans économique, social ou autre, c'est la
conscience très scientifiquement entretenue de ce que : partant du
principe que les pays occidentaux sont mus essentiellement, et c'est là
qu'ils rejoignent une analyse marxiste, par des motifs, des raisons ou
des impératifs d'ordre économique, autrement dit sachant que le Veau
d'Or est le seul maître dans les pays d'occident, les israéliens savent
que : si les apparences sont sauvegardées, si la dialectique employée,
si la terminologie employée, si les cadres juridique, politique,
institutionnel employés sont suffisamment souples, intelligemment menés,
ils peuvent se permettre de violer, en quelque sorte, à condition d'y
mettre les formes, la réglementation du droit international C'est une
idée consolidée historiquement, politiquement puis scientifiquement en
regard de ce qu'ils ont subi, ce qui leur permet une totale liberté
d'utilisation de moyens que l'on qualifierait ailleurs de
terroriste.L'idée est qu'en exploitant ce capital inépuisable de
sympathie, cette mauvaise conscience viscérale bien qu'implicite de
l'Occident, on considérera un massacre perpétré par les israéliens comme
de la légitime défense, alors qu'un massacre dont les causes et les
effets sont identiques, mais perpétré par des arabes, est considéré
comme un acte terroriste.
Et la France dans tout cela ?
Si l'on n'en revient à des considérations plus domestiques, on
s'aperçoit que la volonté d'analyse à moyen et long terme, ce réalisme
politique, existe incontestablement dans l'administration américaine,
israélienne, alaouite, sunnite ou iranienne, mais est totalement absente
de toutes les analyses européennes et singulièrement française. L'Europe
n'a pas de politique étrangère cohérente, la France n'a pas de politique
arabe. Au mieux, c'est une politique à la remorque des autres
politiques, et plus précisément de la politique américaine, mais qui n'a
rien d'original et, surtout, qui n'a pas trouvé son cadre de définition.
Plus grave, cet ersatz de politique étrangère sacrifie tout à tour les
alliances historiques françaises et ruine le prestige incontestable dont
la France jouissait tant au Moyen-Orient que dans les pays du Magreb ou
dans l'Afrique profonde.
Si demain un chef d'état arabe quelconque lançait un appel au secours à
la France, nous aurions la démonstration évidente de ce fait, et la
France se livrerait à des atermoiements qui ressembleraient un petit peu
à son attitude au début de la crise yougoslave, avec en même temps une
diversification des options et des opinions selon qu'elles émaneraient
du Président, du ministre des affaires étrangères, enfin, bref, aucune
ligne de conduite et l'on verrait la France abandonner ces gens-là.
C'est très exactement ce qui s'est passé au Liban.
Malheureusement les défections françaises ne s'arrêtent pas aux pays
arabes proprement dits. Il y a un sujet à soulever qui est d'importance
majeure: Les chefs des états africains qui avaient encore des illusions
sur les capacités françaises, sur la nature politique du régime qui
préside à la destinée de la France, eh bien, ces chefs d'états noirs,
voyant la subversion, l'islamisation gagner leurs pays en ont appelé à
la France et la France a été incapable de trouver des solutions. Et ceci
pour les détails comme pour les choses importantes.
Un exemple: Houphouët-Boigny, qui a voulu barrer la route à une
islamisation forcée de la Côte d'Ivoire, islamisation du même type que
celle du Sénégal, n'a pas eu d'autre ressource que de construire sa
basilique Saint-Pierre en pleine brousse, moyennant quoi il a fait
l'objet de critique, de descente en flèche, n'émanant pas seulement de
la gauche, mais des cercles gouvernementaux français, y compris de
l'opposition, alors que c'est un homme qui constitue une barrière tout à
fait naturelle, chrétienne en plus, et animiste, contre l'Islam. De la
même manière le gouvernement français était dans l'incapacité de
dénoncer les scandales qui se passaient au Soudan, en Somalie ou en
Angola; pas pour des raisons de géo-politiques majeures, mais simplement
pour ne pas déplaire aux musulmans. Par crainte de voir ses manoeuvres,
dans d'autres secteurs, contrariées par l'Islam parce-que la France
aurait dénoncé ses atrocités.
Par contre, la France abonde dans le sens anti-irakien mais, à quel
moment ? Eh bien précisément au seul moment de la curée. La France s'est
mise du côté anti-irakien le jour où l'Amérique, l'Angleterre mais
surtout la majorité des gouvernements arabes, et principalement
sunnites, ont boudé Saddam Hussein.
Voilà un autre exemple frappant de ce réalisme politique parce-qu'encore
une fois, au-delà de la condamnation ou non de l'invasion du Koweit par
l'Irak, l'attitude normal, naturelle, instantanée des pays arabes qui se
sont fondus dans la coalition aurait dû être inverse et faire barrage,
au nom de la solidarité islamique, à l'action de la coalition des
Infidèles.