Le Système est nu, la pression monte
14/10/2014 Problème. Tout le génie du Système néolibéral, à la sauce
américaniste, est d’avoir réduit la démocratie à l’opposition
théâtralisée des profils gauche-droite d’un même parti politique à sa
botte. Seulement voilà, l’arnaque est éventée ; la critique se libère et
s’affirme jusqu’à venir parasiter les grands-messes d’enfumage de nos
chers merdias de masse. Moments certes encore rares, mais ô combien
savoureux, comme cet exposé décapant du professeur de droit et
d’économie Etienne Chouard sur France2, dont nous vous proposons une
transcription commentée. Sa diatribe antiSystème a fait comme on dit
le buzz sur internet,
démontrant s’il en était besoin que sa grille de lecture est de plus en
plus partagée par le souverain grugé, le peuple donc. Le Système est nu,
la pression monte.
«Nos élus ne doivent rien aux
électeurs»
Transcription de la séquence (1)
«C’est une erreur de penser que les politiques sont impuissants ou
incapables, ou ne comprennent pas, en faisant comme s’ils servaient
l’intérêt général. Pour servir l’intérêt général, effectivement, ils ne
sont pas bons. Si on renverse la
perspectives en comprenant que, finalement, ces gens-là servent les
intérêts de ceux qui les ont fait élire, et qui sont les 1% les plus
riches de la population, à ce moment-là, c’est plus du tout une
catastrophe. C’est une réussite formidable. Tout se passe comme prévu.
»La sécurité sociale est
détricotée, le chômage se
porte à merveille, ce qui permet de tenailler les salaires et d’avoir
des bas salaires donc des hauts profits.
Donc, tout se passe bien en fait
du point de vue des 1% qui se gavent comme jamais. Les banques qui
devraient être en prison pour faillite frauduleuse : leurs patrons se
font mieux payer que jamais et arrivent maintenant aux gouvernements des
différents pays (2). Je
trouve que la situation n’est pas du tout catastrophique pour ceux qui
financent les campagnes électorales des élus.
»Et je trouve que là, de ce point de vue, c’est assez logique, Hollande
sert les intérêts de ceux qui l’ont fait élire en le passant à la télé,
dans les journaux.
»Pourquoi une banque achète
Libération ? Pourquoi une
banque achète Le Monde.
Pourquoi le Crédit Mutuel achète le quart de la presse quotidienne
régionale ? C’est pour gagner les élections et qu’ensuite les élus
rendent des comptes à ceux qui les ont fait élire.
»Le problème c’est que nos élus ne doivent rien aux électeurs. Que
vous votiez ou que vous ne votiez pas, si ce n’est pas vous ce sera un
autre. Ceux qui vont voter c’est
ceux qui regardent la télévision et qui ne sont pas politisés.
»Il faut qu’ils passent beaucoup
à la télévision. Si vous
regardez les curseurs c’est incroyable la similitude entre les courbes
de passage à la télé et les résultats aux élections. Il suffit de monter
les curseurs des challengers. Vous les montez à 10 ou 15% et ça va
donner l’impression de la pluralité. Et les deux partis qui ont la même
politique de droite dure – qui
s’appellent gauche et droite mais en fait ils ont la même politique pour
les industriels et les banquiers
–, des multinationales en fait,
eh bien vous mettez leurs curseurs plus haut et ils vont être élus, l’un
ou l’autre en fait peu importe ils vont faire la même politique.
»Alors évidemment les gens sont gentils, ils croient les candidats au
moment des campagnes électorales et c’est ça, c’est notre gentillesse
qui fait la déception après. Mais
enfin, après 200 ans d’échec du suffrage universel qui permet aux riches
d’acheter le pouvoir politique… Depuis qu’ils écrivent les
Constitutions, ces gens-là ont mis en place un Système,
d’abord censitaire
– là, au moins, c’était clair–, et ensuite universel quand ils se sont
aperçus [qu’il n’y avait aucun risque]. Tocqueville disait, très tôt, donc
début du XIXème siècle:
«Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur
dira». Et ça fonctionne, ça fonctionne très bien.
»Donc le fait de désigner des
Maîtres au lieu de voter des lois est une imposture politique. Nous ne
sommes pas en démocratie. En démocratie nous voterions nos lois,
nous-mêmes, un vote, une voix pour voter des lois, pas pour désigner des
maîtres. Le fait de nous imposer de désigner des maîtres est une
supercherie. Ça donne un résultat ploutocratique avec des riches qui dirigent
depuis 200 ans.
»Alors aujourd’hui on arrive dans
une crise parce que le capitalisme n’arrive pas à verser suffisamment de
salaire pour vendre sa camelote. Alors effectivement ils prétendent
que le Système est en crise, en crise comme si c’était un accident. Mais
ce n’est pas du tout un accident.
Les choses se passent
comme d’habitude avec une impuissance politique,
mais cette impuissance politique est programmée. Il y a un endroit où il
est écrit que le peuple n’a aucune puissance : ça s’appelle la
Constitution. Le problème c’est que tout le monde s’en fout. Nous
nous foutons de la Constitution, c’est bien fait pour nous. C’est pas la
faute des affreux qui dirigent, c’est notre faute à nous de ne pas
écrire notre Constitution dans laquelle nous prévoirions notre
puissance. (…) Notre impuissance
tient à notre démission du processus constituant.»
Montée en puissance de la
critique radicale
Entendre cela sur un merdia de masse comme France2 dans une émission
de grande écoute, c’est plutôt inattendu. Ce «morceau choisi» de
l’intervention d’Etienne Chouard a donc fait le buzz, avec quatre
millions de vues sur YouTube, Facebook, RuTube et Dailymotion selon les
calculs de Rue89. Ce qui témoigne, s’il en était besoin, du fait que ce
sentiment, cette intuition d’être face à un Système faussaire et déviant
n’habite plus seulement quelques dissidents opportunément étiquetés
déclinistes,
complotistes et même fachos si besoin,
mais rencontre aujourd’hui le sentiment et l’intuition d’une partie
toujours plus large du peuple en l’espèce français, mais dont
l’intuition fait écho à celle de tous les indignés du monde.
On peut rapprocher la critique d’Etienne Chouard d’autres critiques tout
aussi radicales, tout aussi antiSystème, qui rencontrent elles-aussi un
succès populaire aussi incontestable que dérangeant dans l’Hexagone.
Au risque de froisser les sensibilités de leurs auteurs et/ou de leur
public respectif, nous pouvons ainsi mettre en parallèle le succès de la
critique de Chouard avec celui rencontré par le site et les bouquins
d’Alain Soral (3), notamment
«Comprendre l’empire» ; avec
celui des «quenelles» et des spectacles de la
bête immonde Dieudonné ; avec celui du bouquin de ses avocats «Interdit
de rire»; et même, dans une certaine mesure, avec celui rencontré
récemment par Éric Zemmour (4)
et son livre «Le suicide français».
Chacune de ces personnalités navigue bien évidemment dans des eaux
idéologiquement différentes, se détestent même parfois, ont des
ambitions certainement très diverses et des publics tout aussi
disparates. Mais toutes ont en commun une critique absolument
décomplexée et radicale du Système ; toutes partagent de s’opposer
frontalement à la doxa et de tenter de mettre en lumière la nature
profondément faussaire du vernis démocratique
made in Système ; toutes ont
en commun, enfin, de rencontrer une audience de plus en plus large qui
fait vaciller la vertueuse narrative officielle.
C’est la montée en puissance d’une critique radicale libérée, qui braque
un projecteur aveuglant sur les mensonges tapis au cœur des ténèbres
fondatrices du Système.
Un phénomène observé en France bien sûr, mais à des degrés divers
partout ailleurs aussi en Occident, y compris dans la matrice
étasunienne.
La supercherie,
as a whole
Partout, le Système est donc désormais marqué à la culotte ; ses
malversations et ses mensonges traqués sans relâche par une parole
dissidence de plus en plus hardie, de plus en plus soutenue, de plus en
plus partagée.
Et cela dans tous les champs de son action, dans toutes les dimensions
qu’il contamine, qu’elles soient environnementale, économique, sociale
ou politique.
La marchandisation et la destruction du vivant ; le racket dévastateur
imposé aux peuples et aux nations par la prédation bancaire à travers la
dette ; l’atomisation sociale visant à faire de chacun l’ennemi
potentiel de l’autre mais l’ami du marché ; la réduction de toute
aspiration humaine à la consommation ; les vertueuses guerres froides ou
brûlantes permettant au Système de conserver son hégémonie et de
propager la contamination : toutes ces basses-œuvres sont désormais
identifiées comme siennes et dénoncées comme telles.
Alors bien sûr, le Système assume assez mal cette nudité et cette
contradiction ouverte de sa vertu autoproclamée.
Dès lors, à travers ses représentants politiques, ses journaux dits «de
référence» et ses merdias de masse, il mobilise son armée de petits
soldats fanatisés pour opposer un tir de barrage à cette dissidence dans
une tentative désespérée de permettre au Système «de
perdurer dans son être», et à ses serviteurs de conserver leurs
privilèges.
Mais rien n’y fait, et rien n’y fera plus. Ni les lynchages médiatiques,
ni les procès politiques.
Le Système est nu, la pression monte.
(1)
La vidéo d’Etienne Chouard
(2)
Goldman Sachs à la conquête de l’Europe
(3)
Chouard s’explique sur Soral
(4)
Entendre Eric Zemmour proclamer, en pleine hystérie anti-Russie, que
«Poutine, c’est mieux que Cohn-Bendit»,
est un plaisir tout de même assez inédit.