Comprendre
(extrait de "Liban, des rêves et du sang", 1991)

Les Forces libanaises

Fondée en 1936 par Pierre Gémayel, père du futur président de la République Béchir, les Kataëbs (Phalanges), dont allait naître plus tard les Forces Libanaises, furent créées sur le modèle des jeunesses espagnoles du général Franco. Ce ne fut pourtant qu'après les Accords du Caire de 1969 que l'Etat libanais connut les prémices de son effondrement à venir, et que les milices allaient de ce fait connaître leur essor.
En effet, ces accords contraignirent l'Etat libanais à concéder des bases dans le Liban-Sud à l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) qui de surcroît eut le droit de porter des armes. Dès lors, l'immigration soudainement massive de réfugiés palestiniens commença à poser un sérieux problème sécuritaire à l'Etat libanais. Plus précisément c'est le Fatah de Yasser Arafat qui, installé depuis un an au Liban, constituait la véritable menace. Suite aux actions de commandos menés par ce dernier, le Liban connut dès cette époque les raids de représailles menés par Israël contre les Palestiniens sur toutes leurs zones d'implantations.
La plupart des partis fondés à cette époque levèrent dès 1975 leurs propres milices armées, et les premiers affrontements opposèrent ensuite l'Etat libanais à l'OLP. Le Premier ministre en place à ce moment-là, Feu Rachid Karamé, aurait eu du mal à contester la légitimité de ces milices alors que lui-même forçait l'Armée libanaise à une inertie coupable. Pour tenter d'excuser son absence de décision politique, il disait craindre une scission dans ses propres rangs s'il donnait son aval à une action menée par l'Armée libanaise afin de rétablir l'ordre. Ce laxisme, au demeurant forcé par des pressions extérieures, avait alors considérablement favorisé l'intervention militaire des milices ayant pour fonction soudaine d'assurer un minimum de mesures défensives face aux agressions palestiniennes. Le parti Kataëb devint alors très vite, avec le PNL (Parti National Libanais) de Camille Chamoun, l'un des plus actifs dans une bataille qui envahissait déjà Beyrouth.
Profitant de la formation militaire qu'il avait pu assurer à ses membres, le parti Kataëb supplanta ensuite en importance les autres factions et, par conséquent, put collecter des fonds substantiels afin de se procurer des armes et du matériel. A ce moment là, le courant majoritaire qui conduisait les Kataëb allait encore dans le sens des aspirations du peuple chrétien dont il avait la sympathie et, donc, l'appui financier.
Réussissant alors à développer une stratégie visant à contrecarrer les autres formations et partis, éliminant chacun d'entre eux graduellement, les Kataëbs tentèrent de monopoliser ensuite les décisions dites "chrétiennes". Ainsi, dès 1975, un important différent les avait opposé au "Bloc National" de M. Raymond Eddé, marginalisé parce qu'il s'était toujours refusé à lever une milice armée pour appuyer son parti. Les Phalangistes réglèrent cette affaire par le massacre de 17 membres de ce parti, puis par une tentative d'assassinat sur Raymond Eddé lui-même qui fut dès lors contraint de s'exiler en France.
Trois ans plus tard, alors que c'était le futur président Béchir Gémayel qui les dirigeait, une dispute opposa encore les Kataëb à l'ex-président Sleiman Frangié, leader maronite traditionnel du Liban Nord.
Toujours actif sur la scène politique malgré l'expiration de son mandat, il défendait les intérêts du Nord-Liban en s'octroyant l'appui d'une milice appelée les Maradas (les rebelles).
Le litige portait sur la majoration des taxes "Effort de guerre" levées par les milices et les modalités de leurs répartitions. Le leader nordiste s'opposait à l'option qu'on lui avait présentée parce qu'elle visait, elle aussi, à consolider les Phalangistes au détriment des autres partis. Béchir confia alors à M. Samir Geagea la tâche de "régler" le contentieux, et, le 13 juin 1978, une force clandestine de commandos assassinait M. Toni Frangié, fils du Président, son épouse, sa fille âgée de deux ans et tous ceux qui travaillaient chez lui dans sa résidence à Ehden.
Le témoignage d'un repenti ayant participé à cette attaque apporta des précisions importantes sur le profil du futur leader de la milice. En effet, alors que n'avait survécu au massacre que la fille de Tony Frangié, l'un des soldat était sorti de la maison avec elle, se dirigeant vers Samir Geagea pour savoir ce qu'il fallait en faire. Lorsque la fillette aperçu Samir Geagea, qu'elle connaissait bien puisqu'il était un intime de la famille Frangié, elle couru vers lui et se jeta dans ses bras en criant : "Oncle Samir, Oncle Samir, ils ont tué papa !". Selon le témoignage du repenti, Samir Geagea l'aurait réconfortée un instant avant de donner l'ordre à l'un de ses hommes d'abattre la fillette.
Oncle Samir fut blessé, à la cuisse ou à l'épaule selon les sources, en menant cette opération.
De son côté Israël créait cette année-là l'ALS (Armée du Liban Sud) dans une sorte de zone tampon de 1'000 kilomètres carrés le long de la frontière israélienne.
En 1980, alors que la Syrie renforçait son emprise sur le territoire libanais, des combats opposèrent à nouveau les Kataëb aux "Tigres" du PNL de Camille Chamoun cette fois. Ce dernier voulait mettre un terme aux combats après la liquidation des camps palestiniens de la zone chrétienne mais Béchir, lui, visait avec l'aide d'Israël à la création d'un Etat chrétien séparé. Au début de juillet de cette même année, Chamoun était écrasé militairement et politiquement lors d'une opération sanguinaire lancée par Gémayel à Safra.
Ce fut ensuite l'unification de l'effort militaire sous l'emblème des Forces Libanaises par Béchir Gémayel en date du 7 juillet 1980. Aussitôt formée les FL procédèrent à la consolidation de leurs contacts avec Israël et, pour prouver à l'Etat hébreu leurs capacités combatives, se lancèrent vers la fin de l'année dans une série d'attaques contre l'armée syrienne à Zahlé, noyau chrétien de la Békaa.
Au vu de l'importance stratégique de la région, les Syriens s'engagèrent à fond dans la bataille et assiégèrent la ville pendant l00 jours, bombardant la totalité de la plaine de la Békaa et Beyrouth. Les médiations entreprises alors, surtout par l'ambassadeur français Louis Delamare, avaient permis aux combattants d'évacuer la région qui devait alors tomber définitivement aux mains syriennes dès juillet 1981. Ce fut ensuite l'invasion israélienne de juin 1982. L'Etat hébreu qui avait déjà entraîné, armé et financé la milice FL favorisa dès son arrivée l'élection de
M. Béchir Gémayel qui se porta candidat à la présidence le 23 juillet de cette même année. Un mois plus tard, jour pour jour, le 23 août 1982, Béchir Gémayel était élu à la présidence.
Dès lors Gémayel opta pour un Liban uni et pour l'intégrité du territoire national. Il se tourna vers les Arabes et prêcha la réconciliation. Vingt et un jours après son élection et sa félonie envers Israël, le président Béchir Gémayel fut assassiné, en même temps que quinze cadres de son mouvement, à son QG d'Achrafieh, le 14 septembre 1982. Désemparées et ne sachant pas encore à qui imputer l'assassinat de leur leader, les FL entrèrent trois jours plus tard dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila pour y perpétrer le massacre que l'on sait.
Aussitôt une vague d'indignation internationale avait pesé sur Israël qui, accusée d'avoir au moins supervisé cette hécatombe - ce qui était rigoureusement vrai -, pressa alors les FL d'assumer la responsabilité de leur méfait. Ces dernières procédèrent à une enquête interne dont la conclusion attribua la responsabilité du massacre à la milice du général Saad Haddad, commandant de l'ALS. Tout cela avait finalement abouti à la formation de la commission "Kahan" qui publia un rapport dans lequel, finalement, seules les Forces Libanaises furent impliquées dans le massacre de quelques 4'000 civils palestiniens, mais qui reconnu à Ariel Sharon, le cheval fou de Begin, une responsabilité indirecte dans ce carnage..
Le gouvernement Bégin n'y survécut pas.
Une semaine après l'assassinat de son frère et quatre jours après ce massacre, Amine Gémayel succéda à son frère à la charge de Président de la République.
Amine avait alors tenté de poursuivre la politique nationaliste entamée par son frère Béchir et, pourtant, il apparut que ce fut vraisemblablement sur pressions israéliennes qu'en juillet 1983, les FL s'engagèrent à nouveau dans la sanglante bataille de la montagne contre la milice druze conduite par Walid, le fils et successeur de Kamal Joumblatt.
Les FL s'illustrèrent, une fois de plus, par des massacres de civils qui entraînèrent les représailles des Druzes vis-à-vis des civils chrétiens du Chouf. Samir Geagea, à nouveau dans l'expédition, défait dans cette lutte gratuite et inégale de la montagne, fut contraint de se réfugier plusieurs semaines à Deir-El-Kamar, seule ville chrétienne du Mont-Liban restée intacte. L'offensive FL s'était soldée par la destruction de 60 villages en plus de l'exode d'une population chrétienne de plus de 250'000 habitants qui, elle, depuis plus d'un siècle, vivait en convivialité pacifique avec les Druzes dans le Chouf.
Non content de cette expérience, le même scénario se reproduisit un an plus tard, en 1984, mais cette fois dans la région de Saïda. Les FL avaient à nouveau expédié une force armée commandée par Samir Geagea et ce, sous prétexte de protéger les chrétiens menacés par les intégristes musulmans. Peu motivée, cette intervention était vouée à l'échec et Samir Geagea battit en retraite sans ordre de son commandement, laissant en plan la population chrétienne qui n'eut d'autre choix que d'imiter celle du Chouf dans un nouvel exode.
A ce moment, le démembrement de l'Armée Libanaise était consommé et seules quelques unités de l'armée restaient opérationnelles.
Une série de renversements se succédèrent aussi cette année là dans le commandement des FL, jusqu'en octobre 1984, date à laquelle le Président Amine Gémayel en reprit provisoirement le contrôle par le biais de son neveu Fouad Abi Nader. Mais c'était sans compter avec l'ambitieux Samir Geagea qui dès le 11 mars 1985, provoqua une scission sans précédent au sein des FL dont Amine Gémayel perdit définitivement les commandes.
Deux mois plus tard, Samir Geagea fut à son tour écarté du commandement par Elie Hobeika, jusqu'alors chef du service de renseignements de la milice.
A ce moment, les FL prirent une direction carrément pro-syrienne, cherchant à s'écarter d'Israël, qui les avait pourtant soutenues jusqu'alors. C'était la négation de ce que les chrétiens avaient fait depuis dix ans.
Enfin en janvier 1986, Samir Geagea réduisit en cendres les partisans d'Hobeika, contraignant ce dernier à s'exiler d'abord à Damas, puis dans la Békaa, en lui ravissant à nouveau le commandement FL.
Dès lors et jusqu'à la guerre de libération, Samir Geagea avait tenté de renouer avec un Israël désormais prudent.
Deux ans plus tard, en 1988, n'ayant cessé de faire prospérer son entreprise, Samir Geagea se retrouvait à la tête d'une machine de guerre démesurée ainsi que d'une organisation interne qui n'était rien de moins que celle d'un Etat...