l’empire, le docteur Kübler-Ross et la syrie  

28/06/2012 A l’Etat de nature les nations sont des monstres froids. Et parmi ces monstres froids, les grandes puissances – et à plus forte raison les empires –, sont particulièrement dangereux lorsque leur suprématie est menacée. C’est que, comme on dit, une grande puissance ne meure pas dans son lit. Le sentiment de grandeur et d’invincibilité qui l’habite ; la certitude de son indépassable puissance ; la très haute opinion qu’elle a d’elle-même et de son Histoire la rend généralement incapable d’accepter l’idée même de son déclin.
Dès lors de deux choses l’une : lorsqu’une grande puissance vacille, soit elle cède à la fureur et allume des incendies dont elle espère, toujours à tort, pouvoir tirer profit pour rebondir ; soit les forces émergentes qui l’entourent sont suffisamment solides et structurées pour contenir cette fureur et allumer des contre-feux partout où cela est possible, afin d’encadrer et d’accompagner son agonie jusqu’à dissolution de cette puissance.
Il s’agit donc en quelque sorte, pour les puissances émergentes destinées à prendre le relais, d’organiser un service de soins palliatifs autour du géant à l’agonie pour en contrôler au mieux les humeurs. Un processus de dissolution contrôlée en somme.

Refus, colère, tractations…
Et c’est exactement ce que sont en train de faire la Chine et la Russie autour de l’empire étasunien. Ils savent sa chute irrémédiable et c’est précisément parce que le résultat est d’ores et déjà acquis qu’il ne sert à rien de précipiter les choses.
Il faut au contraire savamment doser l’administration de poison et de contre-douleur pour accélérer le trépas de la bête, sans pour autant provoquer son courroux, puisque ses capacités de nuisances resteront intacts jusqu’à son dernier soupir.
Pour l’heure, les Etats-Unis n’ont bien sûr toujours pas accepté l’idée de leur déclin. Et si l’on se réfère aux cinq étapes du processus de deuil décrit par le docteur suisse
Elisabeth Kübler-Ross (le refus, la colère, la tractation, la déprime et l’acceptation), les Etats-Unis sont en effet encore loin de l’acceptation et oscillent entre refus (ce n’est pas possible, pas moi), colère (j’utiliserai la force brutale pour rester au sommet) et tractation (bon, ok, je décline, mais partageons le pouvoir).
Certes, les Etats-Unis ont bien compris que le moment unipolaire qui a suivi l’effondrement de l’URSS était terminé, que leur domination sur les affaires du monde l’était également, et ils pressentent aussi que la situation de banqueroute généralisée qui les ronge, conjuguée à la montée en puissance des pays émergents (BRICS), ne leur laisse aucun espoir de rétablissement dans leur puissance initiale.

La Syrie, incendie du désespoir
Première victime de leur mythe de l’american dream, les Etats-Unis restent toutefois absolument convaincus d’être la lumière du monde, d’avoir atteint un degré de civilisation indépassable, d’où le messianisme politique qu’il déploie ces dernières décennies, et qui a déjà coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de civils en Irak ou en Afghanistan, pour ne parler que des théâtres d’opérations où ils s’agitent directement.
Aujourd’hui, leur offensive hystérique pour provoquer l’effondrement de la Syrie (avec Téhéran comme objectif final) est un épiphénomène de leur agonie. A travers cet incendie du désespoir qu’est devenu le théâtre syrien, ils ne font que tenter de maintenir leur suprématie sur la Méditerranée orientale dont ils ont d’ores et déjà été éjectés par les nouveaux maîtres des lieux que sont désormais la Russie et son allié chinois (en soutien aussi discret que déterminé).
En bons spécialistes des soins palliatifs, Moscou et Pékin tentent donc de circonscrire l’incendie syrien, et empêcher ainsi la mise à feu de l’Iran.
Mais ils ont encore besoin de temps pour prendre définitivement le relais en termes de leadership mondial, d’où la modération dont ils usent pour contenir et contrer les soubresauts de la bête.
L’objectif étant de l’amener, sans qu’elle s’en doute, à tout de même mourir dans son lit.