«La stratégie du positionnement
évite la réalité
et favorise l'illusion»
Sun Tzu, L'art de la guerre
Commentaire du traducteur:
«L'idée de créer des illusions pour obscurcir la réalité est une
manœuvre tactique spécifique
destinée à maintenir l'adversaire en situation de désavantage
constant.»
Discours sur l'état de l'empire
repères
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Dans son incontournable essai Après l'empire, Emmanuel
Todd, plante à peu près le décors suivant sur la véritable situation des
États-Unis d'aujourd'hui:
Au plan économique, les États-Unis accuse un déficit
commercial structurel croissant
(un peu plus de 100 milliard en 1989 et...
618 milliards en 2004 (1). Ils
sont devenus un espace prédateur,
spécialisé dans la consommation et ne produisant pas
grand chose dont le monde ait
besoin (à moins d'inclure dans ce besoin les armes et
quelques ordinateurs). Les États-Unis
sont désormais dépendant du monde tant pour leur approvisionnement en
capitaux qu'en marchandises et en pétrole. «Glorieux mendiants planétaire», ils
sont vulnérables à n'importe quel blocus. Néanmoins, ils maintiennent l'illusion
de la puissance financière en captant
l'essentiel des flux de capitaux, en faisant marcher la
planche à billets et à travers le contrôle politique et idéologique du FMI et de
la Banque mondiale.
Au plan politique, la chute de l'URSS et l'expansion naturelle
de la démocratie à travers le monde -- dont l'alphabétisation est le plus sûr ressort
et non les flingues
-- privent les
États-Unis du rôle politique planétaire
qu'ils avaient depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Pour maintenir leur
leadership mondial, ils
ont bien été tentés par l'impérialisme après la
désagrégation de l'URSS, mais ne sont pas Rome. S'ils ont une armée
surdimensionnée pour leur défense, elle ne saurait en aucun cas leur permettre de
maintenir ce leadership par la force (le bourbier irakien, nain militaire
s'il en est, suffit à le démontrer)
Au plan géostratégique, ils se savent dramatiquement coupés de
l'Eurasie où se concentre l'essentiel des ressources de la planète. Une
Eurasie qui échappe de plus en plus à leur influence et cherche aujourd'hui son
équilibre, sans eux, en progressant vers une alliance naturelle entre l'Europe,
principale puissance industrielle de la planète, et la Russie (2)
qui se
relève lentement mais sûrement de sa transition
chaotique vers un système plus
démocratique (même s'il ne
sera vraisemblablement
pas celui de l'alternance). La
Russie est déjà redevenue un acteur essentiel dans le jeu international
et sa faiblesse relative la sert puisqu'elle lui permet d'apparaître désormais
comme un partenaire à une Europe qui n'a plus de raison de la craindre. A terme,
la
Chine,
dont le rapprochement avec la Russie
s'intensifie de jour en jour (3), devrait
aussi rejoindre ce qui sera le nouveau centre d'équilibre du monde.
Inutilité au monde, dépendance au monde et éloignement des
ressources mondiale: la situation réelle
des États-Unis est un cauchemar.
Le propos est convaincant et l'on pourrait d'emblée y rajouter
l'ambiance de fin de règne d'une administration Doobleyou qui
touche vraiment le fond. Il explique ce que ne suffit pas à justifier le
traumatisme du 11 septembre au vu du l'option presque exclusivement militariste
choisie depuis par les États-Unis. En fait, c'est en ayant conscience de
leur leur
faiblesse
(et
faute d'une véritable intelligence stratégique, des
moyens militaires, économiques et idéologique qui
leur permettraient de maintenir leur leadership par
la force),
que les États-Unis ont décidé de saisir l'opportunité de la tragédie du
11 septembre
pour créer le mythe d'une internationale
terroriste. Ils ont donc plus ou moins adapté l'idée orwellienne d'une guerre
perpétuelle contre un ennemi insaisissable dont ils se présentent désormais
comme le premier et le dernier rempart du monde libre. Avec l'invention de l'«Axe
du mal», ils «entretiennent l'illusion d'une planète instable qui aurait besoin
d'eux pour sa protection», résume encore Emmanuel Todd. Affronter en prime time
les nains militaires qui constituent le monde arabo-musulman leur permet ainsi
de simuler l'hyper-puissance, d'occuper l'espace médiatique, d'adopter une
posture qui entretient le mythe de leur utilité au monde.
Mais l'unilatéralisme nécessaire à cette stratégie, le mépris du droit
international qu'elle impose, la brutalité militaire déployée ensuite (100'000
civils tués, camps de détention secrets, pratique généralisée et
sous-traitance de la torture) a encore eu pour
effet désastreux de priver les États-Unis du statut de
référence morale qui conférait jusque-là à son hégémonie son caractère
vaguement supportable. Et en la matière, les dégâts sont irréparables
même si une partie des élites européennes tentent
de singer la bonne entente. Les peuples européens, eux, considèrent
désormais les États-Unis comme la deuxième
principale menace pour la paix dans le monde (juste derrière Israël),
selon un sondage de Bruxelles qui a d'ailleurs fait grand bruit en
2003 (4).
La guerre contre le
terrorisme, l'axe du mal, permettent ainsi aux États-Unis de gesticuler en
créant l'écran de fumée nécessaire à
occulter la situation sommairement
décrite ci-dessus au profit d'une réalité virtuelle,
composée, dans le but de maintenir
l'illusion de leur nécessité au monde. Dans un savant dosage de stratégie du fou
et d'allié en rupture de ban, ils tentent d'entraîner leurs «alliés»
dans une guerre qui n'est pas la leur.
Parallèlement à leur micro-militarisme théâtral, les
États-Unis, glissant vers un système militaire
oligarchique, tentent de proposer un nouveau pacte à leurs alliés. Un
nouveau modèle de société ultra-libérale qui vise simplement à donner encore
plus d'argent et de pouvoir à ceux qui en ont déjà le plus. Or, chacun peut le
constater, le système US, bâti en épuisant les sols, en méprisant la nature, en
gaspillant les ressources, en important
la main d'œuvre et la matière grise, n'arrive même plus, moins de 250 ans
après sa naissance, à assurer l'approvisionnement de sa propre population. On
imagine les dégâts d'un tel système appliqué au monde, si
les «alliés»
de l'empire
renonçaient à reprendre leur
indépendance...