Dangereuse montée aux extrêmes au Moyen-Orient
23/08/2013 En confiant depuis juin dernier la conduite de la guerre en
Syrie à l’Arabie Saoudite – en remplacement du Qatar, viré pour
incompétence –, le Bloc occidental a aussi opté pour la surenchère
sanglante. Massacres dans les villages alaouites autour de Lattaquié ;
vraie-fausse attaque chimique pour tenter de justifier l’intervention du
Bloc au moment où ses
mercenaires s’essoufflent : l’accélération est phénoménale. Mais elle
déborde désormais sur le Liban voisin. Après l’attentat perpétré dans la
banlieue chiite de Beyrouth il y a une semaine, une nouvelle attaque a
frappé hier les sunnites à Tripoli, dans le nord du pays. La stratégie
est cousue de fil blanc. Il s’agit de précipiter le Pays du Cèdre dans
une nouvelle guerre confessionnelle pour «fixer» le Hezbollah, soutien
de Damas.
La sanglante empreinte des Saoud en
Syrie…
Le Bloc atlantiste semble avoir joué sa dernière carte en confiant la
gestion de la guerre en Syrie à la Maison des Saoud.
Matrice du terrorisme international islamiste, le Royaume sait qu’il
n’a pas droit à l’erreur et a immédiatement donné le ton.
Dans les environs de Lattaquié, des villages entiers d’Alaouites ont
récemment été massacrés dans un déferlement d’horreurs soigneusement
ignorée par la presse-Système. L’idée est simple : susciter les
désertions en faisant comprendre aux officiers de l’armée syrienne que
tant qu’ils combattront sur le front, leurs familles seront décimées à
l’arrière.
Ces massacres sont d’ailleurs survenus au lendemain d’une visite du chef
des Renseignements saoudiens, Bandar ben Sultan, à Moscou, où il était
venu proposer des
contrats mirifiques à Poutine en échange de son lâchage de Bachar
el-Assad. Le Prince avait été éconduit par le chef du Kremlin, et la
riposte ne s’est donc pas faite attendre.
…et au Liban désormais
Nos sources au Liban pensent que c’est encore l’Arabie Saoudite qui est
l’inspiratrice du récent attentat qui a frappé
la banlieue sud de Beyrouth, pour punir le Hezbollah d’avoir
participé à la bataille de Qousseir aux côtés de l’armée syrienne.
Et à l’heure où nous écrivons ces lignes,
un
nouvel attentat a frappé cette fois Tripoli, dans le nord du Pays.
Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’une politique de
déstabilisation est à l’œuvre au Liban pour faire éclater une guerre
confessionnelle entre sunnites et chiites. La stratégie est cousue de fil
blanc.
«Un coup chez les Chiites, un coup chez les Sunnites : maintenant
qu’ils ont un mandat des Américains, les Saoudiens se lâchent»,
nous confie une source de haut niveau à Beyrouth. Et d’ajouter : « Il ne faut pas non
plus sous-estimer le fait qu’au-delà du mandat américain en Syrie, les
Saoudiens ont leur propre agenda dans la région (1).»
Deadline en 2014 ?
Pour l’heure, la Syrie – et
par ricochet le Liban donc – résiste tant que faire se peut à
l’assaut de coupe-jarrets islamistes, mais aussi des mercenaires
encadrés par des
commandos jordaniens, israéliens et américains désormais. C’est que
le temps presse, car il semble qu’une deadline ait été fixée à Riyad qui
doit impérativement réussir à renverser le régime syrien avant
l’élection présidentielle de 2014.
Les attentats perpétrés au Liban et le récent montage d’une
vraie-fausse attaque chimique abracadabrantesque dans les environs
de Damas attestent de cette accélération.
– Au passage, notons notre effarement de constater à quel point la
presse-Système militante a perdu tout sens critique en relayant cette
information sans le moindre scepticisme. Car de deux choses l’une, soit
on est d’une parfaite mauvaise foi, soit on est complètement con, pour
croire une seule seconde que le régime syrien va lancer une attaque
chimique dans les faubourgs de Damas alors qu’il est en train de gagner
sur tous les fronts et que les enquêteurs de l’ONU sont sur place –.
L’Occident en train de perdre le
Moyen-Orient
Il faut replacer cette inflation de violences dans la vertueuse
tentative de remodelage du Moyen-Orient voulue par Washington et ces
zélateurs.
Et c’est peu dire que tous les pays qui ont eu le malheur d’être secouru
par l’Occident se sont retrouvés ruinés, dévastés, livrés à une violence
sans fin.
Aux guerres mafieuses lancées en Afghanistan et en Irak sous prétexte de
croisade post-11 Septembre, ont succédé l’offensive généralisée contre
les Chiites et la lamentable tentative de prise de contrôle du Printemps
arabe. Résultat : l’Irak, l’Afghanistan et la Lybie agonisent, la Syrie
baigne dans son sang et le Liban se bat pour ne pas être emporté dans la
guerre voisine.
Du côté de l’Egypte, la rupture est également consommée avec Washington
et Paris. Partout, de Kaboul à Bagdad, en passant par Beyrouth, Tripoli,
Téhéran, Damas ou Le Caire, la rue rejette désormais la narrative
occidentale et il n’y a plus guère que les proconsuls payés par le Bloc
pour lui trouver encore quelques vertus.
La perte de l’Egypte
«Obama a d’abord soutenu Moubarak et a voulu ensuite nous imposer les
Frères musulmans. Mais qu’est-ce qu’il croyait, qu’on allait accepter de
passer d’un régime de fous à un autre parce-que ça arrange les
Etats-Unis? Et pourquoi l’Europe nous menace ? Vous trouvez qu’on ne
mérite pas mieux que des fanatiques menteurs et incompétents pour nous
diriger?»
Ce coup de gueule d’un ami cairote hier, musulman pieu mais adversaire
acharné des Frères musulmans, nous semble bien résumer l’amertume qu’ont
suscitées au Caire les condamnations – forcément outrées –, de capitales
occidentales – forcément vertueuses –, suite au «massacre» perpétré par
l'armée égyptienne pour briser l'insurrection des Frères musulmans le 14
août dernier.
Chez les révolutionnaires de la première heure au Caire, la (re)prise de
de contrôle du pays par l’armée est donc perçue comme une étape
nécessaire d’une révolution toujours en marche.
Bien sûr, le processus est par nature dangereux, et comme nous le
relevions dans notre
précédente brève, le Conseil suprême de forces armées égyptien, le
Scaf, devra jouer les équilibristes pour établir une feuille de route
convaincante vers un retour du pouvoir civil, tout en évitant de se
faire «pénétrer» par des saoudiens ou des israéliens toujours en
embuscade.
Reste que Washington et Paris, donc l’UE, sont désormais hors-jeu de
l’équation égyptienne, ce qui représente sans aucun doute un événement
majeur pour la région.
La catastrophe générale est en marche
Le tableau qui se dessine est donc celui d’une catastrophe générale à
venir pour l’Occident au Moyen-Orient :
- L’Irak passe lentement mais sûrement dans le giron iranien ;
- L’Afghanistan est en bonne voie pour retourner aux talibans ;
- La Libye s’évapore dans les guerres tribales ;
- Malgré la surenchère saoudienne en Syrie, le régime résistera tant que
la Russie et la Chine le soutiendront et, à terme, il semble bien que
Washington et Paris devront se résoudre à capituler sur ce front
également ;
- En Egypte, le Bloc occidental vient aussi de perdre la bataille des
cœurs.
- Quant au Liban, la déstabilisation très probablement orchestrée par
les alliés de Washington, et la récente inscription du Hezbollah sur la
liste des
groupes terroristes de l’UE, achèvent de disqualifier là encore le
Bloc occidental comme interlocuteur valable au Pays du Cèdre.
Ironie de l’Histoire, dans ce tourbillon de batailles perdues, de
rendez-vous ratés et de stratégies occidentales foireuses au
Moyen-Orient, le seul pays qui semble devoir rester stable envers et
contre tout, n’est autre que l’Iran.
Décidément, il vaut mieux avoir l’Occident pour ennemi déclaré que comme
sauveur.
Et ça, le Moyen-Orient l’a désormais intégré.
(1) Pour l’Arabie Saoudite, c’est la
montée en
puissance chiite qu’il s’agit de briser. Depuis la révolution
islamique de 1979 en effet, une compétition féroce oppose Riyad et
Téhéran pour le leadership musulman. Depuis la première guerre du Golfe,
jamais les pétromonarchies n’ont été plus éloignées de leurs références
islamiques et leur soumission aux intérêts américains, voire israéliens,
est très mal perçue par la rue arabe. Avec des positions
(anti-israéliennes, anti-américaines) aux antipodes de ses voisins du
Golfe, Téhéran s’affirment donc de plus en plus comme une référence
religieuse plus convaincante malgré le fossé qui sépare les branches
sunnites et chiites de l’Islam. Au demeurant, on constatera aussi que
les pays du Golfe sont en proie à des troubles souvent liées à leurs
très fortes minorités chiites, sans parler de Bahrein dont la population
est à 70% chiites. Pour les puissances du Golfe, la priorité absolue est
donc à la chute de l’Iran chiite, et la déstabilisation du régime chiite
alaouite de Bachar al-Assad n’est là aussi qu’une étape.