Commentaire Août 2001

L'Ami abandonné

La guerre du Golfe fut conduite pour des raisons obscures et tortueuses avec, pour tout mobile affiché, une libération du Koweit qui ne fut pourtant que l’opportunité de la déclencher. L’un des rares risques militaires de l’opération ayant été une régionalisation du conflit, la « coalition » avait donc dû s’assurer au préalable de la passivité de nations arabes potentiellement dangereuses, dont la Syrie. L’entrée en action de la chasse syrienne sur le territoire libanais, jusque là interdite en quinze ans de guerre par les lignes rouges israéliennes et américaines, lui fut soudain autorisée. Le 13 octobre 1990, la « rébellion » du général Aoun était alors écrasée en quelques heures et Damas prenait officiellement les commandes du Liban.

La guerre du Golfe eut lieu, l’Arabie Séoudite autorisa la profanation du Sanctuaire pour ce faire, le Hezbollah n’y trouva pas grand-chose à redire, le Koweit fut sauvé, le monde libre rassuré, la population irakienne martyrisée et le Liban oublié. A Damas, le vieux lion Hafez ronronnait d’aise dans sa Grande Syrie enfin redessinée, même si l’épineux travail de consolidation historique de l’annexion ne faisait que commencer. Un travail d’abord confié, pour ménager certaines susceptibilités occidentales, à une poignée de chefs de milices libanaises et de députés désabusés qui fut présentée comme le Liban.

Aujourd’hui, dix ans après, le Liban étouffe. Ecrasé par la botte syrienne, trahi par ses élites, abandonné par ses alliés les plus anciens, le Liban se meurt. Rongé de n’avoir pas su rester ce qui avait fait sa grandeur, ce pays enfant de deux mondes où l’on rêvait en arabe, parlait un français en roulant les « r » avec encore plus de rondeur qu’en Italie, et faisait du commerce en anglais. L’âme à l’Orient et le cœur à l’Occident, les Libanais savent pourtant que ce Liban de la tolérance, du brassage respectueux des couleurs, des cultures et des croyances peut et doit renaître, enrichi des leçons du drame et de la souffrance. Et qui pourrait bien enlever ce rêve au Libanais ? Les menaces syriennes ? Le silence des amis ? Les Libanais ne sont pas des gens que l’on peut intimider dirait le général Aoun. Mais pour sûr, le silence des amis leur fait mal.

P. V.