Bush et le nouvel impérialisme étasunien
Poussée par ses faucons tels Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, secrétaire et vice-secrétaire à la Défense, la Maison-Blanche est en train de rompre avec les principes traditionnels de sa politique étrangère pour renforcer l'hégémonie des Etats-Unis. Une stratégie planifiée de longue date par ces mêmes faucons.
Une stratégie planifiée de longue date
Pièces à conviction 2002 2001 - Avril Un rapport de l'Institut James Baker, sur les défis de la politique énergétique pour le 21e siècle, notait que l'Irak était un danger pour la stabilité des marchés pétroliers et préconisait, dans ses conclusions, une révision de la politique étasunienne, vis-à-vis de l'Irak, incluant les options militaires. 2000 1999 - The smoking guns 16/03/2003 Où l'on apprend qu'après les documents datés de 1992 et 2000, dans lesquels l'actuel équipe en place à la Maison-Blanche préconisait déjà les interventions militaires en cours en Irak et en Afghanistan, lesdites guerres figuraient également à l'agenda des stratèges de l'ère Clinton dans un document daté de 1999 et bâptisé Strategic Assesment. 1998 L'Asie Centrale, une région où l'Amérique doit intervenir massivement, préconisait, en 1998, l'ancien conseiller à la Maison-Blanche Zbigniew Brzezinski. «Jamais, en effet, un pays n'a à ce point dominé le reste de la planète. Depuis la chute de l'empire soviétique, les Etats-Unis détiennent la suprématie dans les quatre domaines clés : le militaire, l'économie, la technologie et même la culture. Rendez-vous compte : principale puissance nucléaire, l'Amérique contrôle tous les océans et entretient des «légions» en Asie comme en Europe et dans le golfe Persique ; l'économie américaine est le principal moteur de la croissance mondiale, et son avance dans les technologies de l'information est considérable ; enfin, la culture made in USA ses films, ses programmes de télévision bénéficie, quoi qu'on en pense, d'un pouvoir d'attraction incomparable.» (...) «Je pense même que cet ensemble devrait être la zone prioritaire de la politique géostratégique américaine, et cela pour deux raisons intimement liées : d'une part, cette région recèle de gigantesques gisements de gaz et de pétrole, et la consommation mondiale d'énergie croît de manière exponentielle ; d'autre part, ces « Balkans eurasiens » peuvent devenir une source de grande instabilité voire de chaos, si les puissances régionales (la Russie mais aussi l'Iran, la Turquie et la Russie) s'affrontent pour son contrôle. Pour atténuer ces conflits et empêcher que l'un de ces pays ne prenne le leadership de la région, les Etats-Unis doivent intervenir massivement.» 1997 Confirmation du DPG de 1992. 1985-1991 1992-1994 |
NEW YORK / JEAN-COSME DELALOYE
(24 heures du 18 septembre
2002
George Bush a-t-il soudainement la gâchette qui le démange ? Le président
américain, frustré par l'incapacité de son armée de retrouver Ben Laden a-t-il
du jour au lendemain changé son fusil d'épaule pour se concentrer sur Saddam
Hussein? A-t-il tout à coup pris la décision de faire cavalier seul en cas
d'échec des Nations Unies (ONU)? A voir avec quel scepticisme la Maison-Blanche
et les milieux conservateurs américains ont réagi hier à l'annonce de l'Irak de
permettre un retour des inspecteurs de l'ONU et surtout avec quel empressement
ils veulent régler le cas Saddam, on peut se poser ces questions.
Dans son article «L'ambition impériale de L'Amérique» paru ce mois-ci dans la
revue Foreign Affairs, John Ikenberry, professeur à l'Université de
Georgetown à Washington, propose une réponse. Il écrit : «Dans l'ombre de la
guerre contre le terrorisme de l'administration Bush, de nouvelles idées sur une
grande stratégie américaine (...) circulent. Elles préconisent un usage
unilatéral et préventif de la force, facilité si possible par des coalitions
mais pas contrarié par les règles de la communauté internationale. (...) Ces
notions constituent une vision néo-impérialiste dans laquelle les Etats-Unis
s'arrogent un rôle global, déterminant les règles, les menaces et l'utilisation
de la force.»
Selon John Ikenberry, pas de changement d'humeur soudain de la Maison-Blanche
donc, mais une vision qui s'oppose à la politique étrangère américaine telle
qu'elle a été pratiquée depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Selon
cette nouvelle stratégie, les deux grands axes de la diplomatie de Washington -
maintien de l'équilibre grâce à la dissuasion militaire et promotion des
institutions multilatérales- sont aujourd'hui dépassés. La raison : Seule
superpuissance depuis l'éclatement de l'Union Soviétique, les Etats-Unis doivent
promouvoir une paix globale et américaine.
Une stratégie planifiée de longue date
Les avocats de cette stratégie unilatérale sont Dick Cheney, vice-président,
Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense, et Paul Wolfowitz,
vice-secrétaire à la Défense. Ce dernier joue d'ailleurs un rôle central depuis
de nombreuses années. En février 1992 déjà, sous Bush Sr, Wolfowitz, alors
simple officiel au Pentagone, rédige le Defence Policy Guidance (DPG) (>>Asia
Times /
CIRPES
/
Monde Diplomatique). Dans ce texte un texte censé déterminer les
grands axes de la stratégie américaine pour le 21e siècle, il est
notamment question d'assurer à long terme la domination militaire américaine sur
l' «Eurasie» et d'empêcher la naissance de toute autre superpuissance. Dans ce
projet, pas de mention des Nations Unies. Paru dans la presse avant sa
présentation à Cheney, le DPG a suscité un tollé à l'époque. La version finale
du texte sera édulcorée.
On retrouve pourtant Wolfowitz en 1996, lors de la création du «Projet
pour un nouveau siècle américain». Il co-signe avec Dick Cheney
et Donald
Rumsfeld l'acte de fondation de l'organisation qui veut promouvoir le rôle
global des Etats-Unis et se bat pour une augmentation des dépenses militaires.
En 2000, Wolfowitz, alors professeur l'Université Johns Hopkins à Washington,
participe à la rédaction du rapport (document
pdf 870ko) sur l'état de la défense
américaine. On peut lire dans ce texte qui insiste sur l'importance de
débarrasser les ennemis de Washington de leurs armes de destruction massive
ainsi que sur le rôle de «policier» des Etats-Unis, les bases de la politique
américaine actuelle: besoin d'une augmentation drastique des dépenses
militaires, dénonciation du traité ABM de 1972 sur la non-prolifération des
missiles, besoin d'un bouclier antimissile. L'Irak, l'Iran et la Corée du Nord y
sont fustigés : «On ne peut pas permettre à la Corée du Nord, à l'Iran, l'Irak
(...) de menacer le leadership américain ou le sol américains».
Le Projet qui a pris à partie Colin Powell pour avoir négocié avec l'autorité
palestinienne, prétend n'avoir aucun lien direct avec la Maison-Blanche. Gary
Schmitt, directeur du «Projet» à Washington, explique que Wolfowitz et Rumsfeld
ne sont pas «réellement des créateurs du Projet». Et d'ajouter : «Je n'ai pas
parlé plus de quatre ou cinq fois avec Wolfowitz depuis qu'il a pris ses
fonctions. Nous avons été d'ailleurs très critiques de la politique de
l'Administration pendant ses neuf premiers mois et le sommes encore
aujourd'hui.» Précision : Bush a pris ses fonctions en janvier 2001. Neuf mois
plus tard, en septembre, l'Amérique était attaquée. Aujourd'hui, la guerre
contre terrorisme est menée par Donald Rumsfeld.