Bush et le nouvel impérialisme étasunien

Poussée par ses faucons tels Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, secrétaire et vice-secrétaire à la Défense, la Maison-Blanche est en train de rompre avec les principes traditionnels de sa politique étrangère pour renforcer l'hégémonie des Etats-Unis. Une stratégie planifiée de longue date par ces mêmes faucons.

Une stratégie planifiée de longue date

Pièces à conviction
(1992-2002)

2002
Nouvelle stratégie officielle:
guerres préventives et libéralisme sauvage
20/09/2002 W. Bush a annoncé vendredi une évolution de la doctrine militaire américaine qui passera de la dissuasion, caractéristique de la Guerre froide, aux actions «préventives» contre des terroristes cherchant à se procurer des armes de destruction massive. «Les Etats-Unis ne peuvent plus compter seulement sur une posture réactive comme nous l'avons fait dans le passé», écrit Jr. dans un rapport officiel intitulé «The National Security Strategy of the United States of America» (>> 1: le document original anglais en pdf. /// >>2: sa traduction française ///  >>3: sa présentation française par la Maison-Blanche). «Nous devons être prêts à arrêter les Etats voyous et leurs associés terroristes avant qu'ils ne soient capables de menacer ou d'utiliser des armes de destruction massive contre les Etats-Unis, leurs alliés et leurs amis», affirme le rapport. «Nous ne pouvons pas laisser nos ennemis frapper les premiers.» Bush ajoute ensuite que «les Etats-Unis chercheront constamment à s'assurer le soutien de la communauté internationale, mais nous n'hésiterons pas à agir seul, si nécessaire, pour exercer notre droit à l'autodéfense en agissant préventivement contre de tels terroristes.» Le document de 33 pages équivaut à une déclaration officielle de la mort de la doctrine de la Guerre froide, basée sur la dissuasion nucléaire. Il s'agit du premier rapport de ce genre rédigé par l'administration de W. Bush depuis son entrée en fonction, en janvier 2001. «Nos forces seront assez fortes pour dissuader tous les adversaires potentiels de s'engager dans une course aux armements dans l'espoir de surpasser ou égaler la puissance des Etats-Unis», souligne le texte. Celui-ci comprend également des chapitres sur la nécessité de promouvoir une politique économique libérale à l'échelon international et le libre-échange, ainsi que sur le rôle des Etats-Unis pour défendre la liberté d'expression et les droits de l'Homme (sic).
«Préemption» et non «prévention» Il faut bien s'attacher aux termes, souligne de defensa: le stratégie de Bush est bien la «préemption» et non la «prévention» ; la préemption implique un droit tandis que la prévention implique une action plus naturelle: «Ensemble de mesures préventives contre certains risques ». (...) Le mot préemption vient du vocabulaire du commerce de l'art et il est accompagné, pour être complet, du mot «droit»: le «droit de préemption» indique que vous disposer d'une priorité légale d'achat avant tout autre; la stratégie «préemptive» implique donc que l'Amérique fait le droit dans sa stratégie de frappe à volonté et selon son seul jugement, par conséquent qu'en ces matières stratégiques, l'Amérique, désormais, EST le droit.

2001 - Avril Un rapport de l'Institut James Baker, sur les défis de la politique énergétique pour le 21e siècle, notait que l'Irak était un danger pour la stabilité des marchés pétroliers et préconisait, dans ses conclusions, une révision de la politique étasunienne, vis-à-vis de l'Irak, incluant les options militaires.

2000
Rebuilding America's Defences: Strategies, Forces And Resources For A New Century

(brève du 16/09/2002)
Le Sunday Herald affirme qu'un document secret, pour la création d'une «global Pax Americana», prouve que le président Bush et son cabinet planifiaient déjà une attaque de l'Irak avant l'investiture de Jr. Le document a été rédigé, en septembre 2000, par le Project for a New American Century (PNAC), un think-tank néoconservateur fondé par Dick Cheney (vice- president), Donald Rumsfeld (secrétaire à la Défense), Paul Wolfowitz (adjoint de Rumsfeld), mais aussi le frère du George W. Bush, Jeb, et Lewis Libby (le chef d'équipe de Cheney).
Le document, intitulé Rebuilding America's Defences: Strategies, Forces And Resources For A New Century (document pdf 870ko), jette les bases de la politique américaine actuelle: besoin d'une augmentation drastique des dépenses militaires, dénonciation du traité ABM de 1972 sur la non-prolifération des missiles, besoin d'un bouclier antimissile. L'Irak, l'Iran et la Corée du Nord y sont fustigés : «On ne peut pas permettre à la Corée du Nord, à l'Iran, l'Irak (...) de menacer le leadership américain ou le sol américains»...

1999

- The smoking guns 16/03/2003 Où l'on apprend qu'après les documents datés de 1992 et 2000, dans lesquels l'actuel équipe en place à la Maison-Blanche préconisait déjà les interventions militaires en cours en Irak et en Afghanistan, lesdites guerres figuraient également à l'agenda des stratèges de l'ère Clinton dans un document daté de 1999 et bâptisé Strategic Assesment.

1998
Le 26 janvier 1998,
le numéro deux du pentagone Paul Wolfowitz, avec huit autres personnes, dont Donald Rumsfeld, actuel Secrétaire à la Défense, ont adressé une lettre à Bill Clinton dans laquelle tous demandaient que Saddam Hussein soit chassé du pouvoir.

L'Asie Centrale, une région où l'Amérique doit intervenir massivement, préconisait, en 1998, l'ancien conseiller à la Maison-Blanche Zbigniew Brzezinski. «Jamais, en effet, un pays n'a à ce point dominé le reste de la planète. Depuis la chute de l'empire soviétique, les Etats-Unis détiennent la suprématie dans les quatre domaines clés : le militaire, l'économie, la technologie et même la culture. Rendez-vous compte : principale puissance nucléaire, l'Amérique contrôle tous les océans et entretient des «légions» en Asie comme en Europe et dans le golfe Persique ; l'économie américaine est le principal moteur de la croissance mondiale, et son avance dans les technologies de l'information est considérable ; enfin, la culture made in USA ses films, ses programmes de télévision bénéficie, quoi qu'on en pense, d'un pouvoir d'attraction incomparable.» (...) «Je pense même que cet ensemble devrait être la zone prioritaire de la politique géostratégique américaine, et cela pour deux raisons intimement liées : d'une part, cette région recèle de gigantesques gisements de gaz et de pétrole, et la consommation mondiale d'énergie croît de manière exponentielle ; d'autre part, ces « Balkans eurasiens » peuvent devenir une source de grande instabilité voire de chaos, si les puissances régionales (la Russie mais aussi l'Iran, la Turquie et la Russie) s'affrontent pour son contrôle. Pour atténuer ces conflits et empêcher que l'un de ces pays ne prenne le leadership de la région, les Etats-Unis doivent intervenir massivement.»

1997 Confirmation du DPG de 1992.

1985-1991
L'iraqgate On se souviendra de l'Iraqgate, classé sans suite bien sûr pour tout notre petit monde politique étasunien, qui vit des rivières de dollars couler vers l'Irak de Saddam Hussein, dont 900 millions directement garantis par le gouvernement US. On sait les pressions qu'exerça James Baker à l'époque pour permettre cette opération. Kissinger soit même ayant fait l’objet d’une enquête du Congrès pour le financement de 4 à 5 milliards milliards de dollars qu’aurait reçu Saddam Hussein, notamment via le bureau d’Atlanta de la Banca Nazionale del Lavoro (BNL) italienne. Lire ce dossier impressionnant sur le sujet  /// et un résumé d'Information clearing house.

1992-1994
Defense Policy Guidance  (DPG)
(brèves du 10/09/2002)
L'Asia Times développe l'hypothèse selon laquelle la politique américaine actuelle est moins une guerre contre le terrorisme, que l'application d'un schéma d'hégémonie mondiale développé pour la première fois en 1992 dans un document confidentiel du pentagone intitulé: Defense Policy Guidance 1992-1994 (DPG). Il s'agissait alors d'accorder la priorité stratégique à la suprématie militaire absolue des États-Unis, dans le but de consolider et de prolonger autant que possible le «moment unipolaire» inauguré par l'écroulement de l'URSS. Le scénario de 1992 prévoyait le maintien des forces armées dans un état de préparation apte à conduire simultanément deux guerres régionales majeures, l'affaiblissement de l'URSS éliminant la menace d'une guerre mondiale menée sur tous les théâtres à la fois. Ce scénario fut repris dans la révision de 1993 et confirmé en1997. Les deux ennemis potentiels désignés officiellement comme cibles des deux guerres étaient l'Irak et la Corée du Nord. A noter que le document en question avait été concocté, au sein de l'administration Bush père, par trois personnages à nouveau aux commandes dans l'administration Bush fils: Dick Cheney, Colin Powell et le secrétaire adjoint à la défense, Paul Wolfowitz.
>>Lire aussi les articles du CIRPES et du Monde Diplomatique.

NEW YORK / JEAN-COSME DELALOYE
(24 heures du 18 septembre 2002

George Bush a-t-il soudainement la gâchette qui le démange ? Le président américain, frustré par l'incapacité de son armée de retrouver Ben Laden a-t-il du jour au lendemain changé son fusil d'épaule pour se concentrer sur Saddam Hussein? A-t-il tout à coup pris la décision de faire cavalier seul en cas d'échec des Nations Unies (ONU)? A voir avec quel scepticisme la Maison-Blanche et les milieux conservateurs américains ont réagi hier à l'annonce de l'Irak de permettre un retour des inspecteurs de l'ONU et surtout avec quel empressement ils veulent régler le cas Saddam, on peut se poser ces questions.
Dans son article «L'ambition impériale de L'Amérique» paru ce mois-ci dans la revue Foreign Affairs, John Ikenberry, professeur à l'Université de Georgetown à Washington, propose une réponse. Il écrit : «Dans l'ombre de la guerre contre le terrorisme de l'administration Bush, de nouvelles idées sur une grande stratégie américaine (...) circulent. Elles préconisent un usage unilatéral et préventif de la force, facilité si possible par des coalitions mais pas contrarié par les règles de la communauté internationale. (...) Ces notions constituent une vision néo-impérialiste dans laquelle les Etats-Unis s'arrogent un rôle global, déterminant les règles, les menaces et l'utilisation de la force
Selon John Ikenberry, pas de changement d'humeur soudain de la Maison-Blanche donc, mais une vision qui s'oppose à la politique étrangère américaine telle qu'elle a été pratiquée depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Selon cette nouvelle stratégie, les deux grands axes de la diplomatie de Washington - maintien de l'équilibre grâce à la dissuasion militaire et promotion des institutions multilatérales- sont aujourd'hui dépassés. La raison : Seule superpuissance depuis l'éclatement de l'Union Soviétique, les Etats-Unis doivent promouvoir une paix globale et américaine.
Une stratégie planifiée de longue date
Les avocats de cette stratégie unilatérale sont Dick Cheney, vice-président, Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense, et Paul Wolfowitz, vice-secrétaire à la Défense. Ce dernier joue d'ailleurs un rôle central depuis de nombreuses années. En février 1992 déjà, sous Bush Sr, Wolfowitz, alors simple officiel au Pentagone, rédige le Defence Policy Guidance (DPG) (>>Asia Times  / CIRPES / Monde Diplomatique). Dans ce texte un texte censé déterminer les grands axes de la stratégie américaine pour le 21e siècle, il est notamment question d'assurer à long terme la domination militaire américaine sur l' «Eurasie» et d'empêcher la naissance de toute autre superpuissance. Dans ce projet, pas de mention des Nations Unies. Paru dans la presse avant sa présentation à Cheney, le DPG a suscité un tollé à l'époque. La version finale du texte sera édulcorée.
On retrouve pourtant Wolfowitz en 1996, lors de la création du «Projet pour un nouveau siècle américain». Il co-signe avec Dick Cheney et Donald Rumsfeld l'acte de fondation de l'organisation qui veut promouvoir le rôle global des Etats-Unis et se bat pour une augmentation des dépenses militaires. En 2000, Wolfowitz, alors professeur l'Université Johns Hopkins à Washington, participe à la rédaction du rapport (document pdf 870ko) sur l'état de la défense américaine. On peut lire dans ce texte qui insiste sur l'importance de débarrasser les ennemis de Washington de leurs armes de destruction massive ainsi que sur le rôle de «policier» des Etats-Unis, les bases de la politique américaine actuelle: besoin d'une augmentation drastique des dépenses militaires, dénonciation du traité ABM de 1972 sur la non-prolifération des missiles, besoin d'un bouclier antimissile. L'Irak, l'Iran et la Corée du Nord y sont fustigés : «On ne peut pas permettre à la Corée du Nord, à l'Iran, l'Irak (...) de menacer le leadership américain ou le sol américains».
Le Projet qui a pris à partie Colin Powell pour avoir négocié avec l'autorité palestinienne, prétend n'avoir aucun lien direct avec la Maison-Blanche. Gary Schmitt, directeur du «Projet» à Washington, explique que Wolfowitz et Rumsfeld ne sont pas «réellement des créateurs du Projet». Et d'ajouter : «Je n'ai pas parlé plus de quatre ou cinq fois avec Wolfowitz depuis qu'il a pris ses fonctions. Nous avons été d'ailleurs très critiques de la politique de l'Administration pendant ses neuf premiers mois et le sommes encore aujourd'hui.» Précision : Bush a pris ses fonctions en janvier 2001. Neuf mois plus tard, en septembre, l'Amérique était attaquée. Aujourd'hui, la guerre contre terrorisme est menée par Donald Rumsfeld.

>>Les liens de crytpome.org