«Tous Américains», «Tous Charlie», tous en guerre !

23/01/2015 Deux semaines après le massacre de Paris et le déclenchement de l’immense opération de brainwashing «JeSuisCharlie», la poussière des émotions retombe enfin et on commence à mesurer l’étendue des dégâts. L’instrumentalisation jusqu’à la nausée de l’affaire a fonctionné à merveille. Le cadavre politique Flanby et sa cour ont ressuscités dans les sondages et, surtout, la mobilisation complète de la machinerie politico-merdiatique hexagonale a provoqué une sorte de «reset» permettant l’incorporation instantanée de la France dans le grand délire islamophobe du choc des civilisations US. Au plan intérieur, la tentation totalitaire est bien réelle avec une classe dirigeante qui a d’ores et déjà réduit la liberté d’expression à l’expression de ses seules opinions.

Islamophobie et paranoïa
Le bilan est désastreux. Au moment même où tous les Charlies de l’Hexagone prétendaient manifester pour la liberté d’expression: des dizaines de personnes ont été arrêtées pour «apologie de terrorisme» (dont une jeune fille de 14 ans) parfois pour de simples commentaires ironiques (1) ou même un dessin; Dieudonné a été placé en garde à vue pour un tweet; des dizaines d’attaques islamophobes ont été perpétrées à travers la France (2).
Sous couvert de réflexe républicain, chacun y est allé de son islamophobie en exigeant des musulmans qu’ils condamnent le massacre. Comme si cette tuerie avait un quelconque rapport avec l’Islam en tant que religion. A-t-on exigé des Juifs de France qu’ils  condamnent le massacre de plus de 2000 Palestiniens dont 500 enfants par les Israéliens en mars 2014?
Rupert Murdoch, possesseur du plus grand groupe de presse du monde, aura parfaitement résumé la puanteur de l’esprit du moment dans un seul tweet: «Peut-être que la plupart des musulmans sont pacifiques, mais jusqu’à ce qu’ils reconnaissent et détruisent leur cancer djihadiste croissant, ils doivent être tenus pour responsables(3).

Tentation totalitaire
Autre sujet d’inquiétude:  la tentation totalitaire qui s’est manifestée au plus haut niveau.
Le concept de «totalitarisme» vient, rappelons-le, du fait qu'il ne s'agit pas seulement de contrôler l'activité des personnes, comme le ferait une dictature classique, mais de s'immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée, en imposant à tous les citoyens l'adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté.
Et là, sans s’arrêter à l’appel de la députée UMP des Yvelines Valérie Pécresse pour un «Patriot act à la française», la palme de la dérive totalitaire revient à Nathalie Saint-Cricq, journaliste de France2, responsable du service politique de la chaîne depuis juin 2012: «C’est justement ceux qui ne sont pas «Charlie» qu’il faut repérer, ceux qui, dans certains établissements scolaires ont refusé la minute de silence, ceux qui «balancent» sur les réseaux sociaux et ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur. Eh bien ce sont eux que nous devons repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale.»
No comment.

L’école mobilisée pour former des Charlies?
Les déclarations de la Ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, sont également stupéfiantes: «Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les «Oui je soutiens Charlie, mais…», les «deux poids, deux mesures», les «pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?» Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs.»
Mais alors de quelles valeurs s’agit-il exactement?
La Ministre Belkacem en a dessiné les contours après l’annonce du Président-Poire Flanby d’un «acte II» de la refondation de l’école (4).
Les mesures proposées sont notamment:

-        «Un nouvel enseignement moral et civique»
[s’agit-il d’inculquer aux enfants les valeurs du Système en leur imposant de renoncer à leur libre-arbitre?];

-        «Un renforcement de l’éducation aux médias et à l’information»
[s’agit-il d’apprendre aux enfants à aimer la propagande officielle et ses canaux, et à renoncer à la tentation de l’information dissidente sur internet?]

-        «une Journée de la laïcité célébrée chaque 9 décembre»
[S’agit-il de promouvoir une laïcité respectueuse des religions, ou cette laïcité nihiliste à la CharlieHebdo qui impose à chacun (enfin presque) d’accepter que sa religion soit injuriée sans broncher, bref, s’agit-il de former des Charlies ?]

Lorsqu’une ministre de l’éducation estime que les questions des élèves sont insupportables, l’inquiétude est en effet plus que légitime.
Reste qu'aujourd'hui, au lendemain de ce qui se prétendait être un grand rassemblement républicain, la France n'a jamais été aussi divisée entre prédateurs et travailleurs, classe  politico-merdiatique et peuple, bobos des villes et kaïras des cités, Juifs, laïcs, musulmans et, désormais, entre Charlie et pas Charlie.

La loi mobilisée pour une purge idéologique d’internet?
A cette crispation idéologique viennent évidemment s’ajouter les tentations liberticides de l’appareil sécuritaire.
Verbatim
Jean-Jacques Urvoas, député PS: «Nous voulons avoir accès aux ordinateurs.»
Christian Jacob, chef de file des députés UMP: «Si nécessaire, il faudra restreindre les libertés publiques et la liberté individuelle de quelques-uns.»
Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur: «Dans le combat que nous menons contre le terrorisme, il devra y avoir Internet.»
Là encore, l’inquiétude est plus que légitime, à plus forte raison lorsque l’on connaît la volonté quasi hystérique du Premier ministre Valls de purger internet selon son goût, et notamment en créant l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme (5).
Valls, discours au Trocadéro, 19 mars 2014: «Nous devons faire corps pour combattre cet antisémitisme nouveau, qui se nourrit de l'antisionisme, qui se déverse sur la toile et sur l'Internet. Il nous faut réfléchir, il nous faut travailler, il faut si c'est nécessaire, légiférer.»

«La guerre, c’est la paix»
A l’internationale, bien sûr, c’est la curée.
Comme le relève le Figaro : «Un climat d'unanimité inédit a présidé mardi (13 janvier) au vote des députés et sénateurs sur la prolongation des frappes aériennes françaises en Irak contre l'État islamique (EI), alias Daech.»
Certes. Qui oserait aujourd’hui critiquer cette décision? Et peu importe encore une fois si ces djihadistes-assassins sont un pur produit de la politique étrangère conduite par le Bloc altantiste au Moyen-Orient depuis 25 ans (6). Peu importe si les USA et la France notamment les soutiennent, les entrainent et les financent depuis 3 ans en Syrie notamment.
Hier «Tous Américains» ; aujourd’hui «Tous Charlie» et, bien sûr, tous en guerre contre le terrorisme donc, dans cette guerre ingagnable (7) et éternelle à laquelle il est devenu impossible d’échapper.
Mais c’est tout bénéfice pour le Système, dont la France politique est devenue un simple rouage.
Car comme le pressentait très bien George Orwell dans son roman d’anticipation, «1984» : «Peu importe que la guerre ne soit pas réelle, ou, si elle l’est, que la victoire ne soit pas possible. La guerre ne vise pas à la victoire. Elle vise à être continuelle. (…) La guerre est menée par l’oligarchie contre ses propres sujets, et son objet n’est pas de remporter la victoire sur l’Eurasia ou l’Estasia, mais de garder la structure même de la société intacte.»
La guerre sans fin contre le terrorisme n’a donc d’autre but que de permettre au Système de «perdurer dans son être»; de permettre à ses privilégiés de conserver leurs privilèges malgré les inégalités croissantes, malgré sa toxicité, malgré la censure et le contrôle, malgré tout.
Comme le proclament les dirigeants du régime totalitaire imaginé par Orwell: «La guerre c'est la paix. La Liberté c'est l'esclavage. L'ignorance c'est la force.»
Dont acte.

Post Scriptum: «La lutte était terminée. Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother».
Georges Orwell, «1984», derniers mots.

Publié sur entrefilets.com, le 23 janvier 2014

1 La France commence à incarcérer des gens pour des commentaires ironiques

2 Augmentation de 110% des actes islamophobes

3 « Paris attacks » Pas au nom de l’Islam

4 L’école mobilisée pour former des Charlies

5 Après le terrorisme, les sites antisionistes bientôt bloqués sans juge?

6 Le Charlie’s Sytem Magic Tour

 7 Le terrorisme ne se combat pas par la guerre, par Pierre Conesa