L’avertissement de Sotchi
07/11/2014 Et c’est reparti. Le bourrage des urnes encore chaud, la
junte de Kiev a entamé la relance de sa guerre dans l’Est de l’Ukraine
en accusant les séparatistes. Et bien sûr, le Bloc atlantiste bombe à
nouveau le torse contre la Russie. Alors que rien ne semble plus pouvoir
arrêter cette délirante montée aux extrêmes, il nous paraît utile de
revenir sur le discours fondamental prononcé par Vladimir Poutine à
Sotchi, le 24 octobre dernier, dans le cadre du Club Valdaï.
Un discours largement occulté par nos merdias comme il se doit,
et dans lequel le Président russe entérine la rupture forcée d’avec le
Bloc atlantiste, situant avec une lucidité décapante la
vérité de la situation de
notre époque. Un discours qui est aussi un avertissement : les règles du
jeu ont changé. Le véritable choc des civilisations est là, bien loin
des billevesées néoconservatrices de Samuel Huntington.
Des principes contre des valeurs
Attaques des séparatistes,
incursions de chars russes,
menaces de nouvelles sanctions : on connaît la chanson. La trêve n’est
pourtant plus
qu’une fiction
depuis des semaines et la junte de Kiev n’a d’ailleurs jamais cessé ses
bombardements sur Donetsk notamment.
Il semble donc que la guerre
voulue par les USA en Europe
doive encore s’intensifier, au risque de déboucher sur un affrontement
beaucoup plus large désormais. Comme nous le disions dans notre dernier
billet, la ligne rouge est atteinte pour la Russie
et les options se réduisent
désormais comme peau de chagrin.
Dans ce contexte explosif, il faut en revenir au
discours de Valdaï
pour comprendre qu’un véritable choc des civilisations se joue
aujourd’hui entre un Bloc atlantiste dont la politique belliqueuse est
fondée sur des valeurs à géométrie variable, et les pays du BRICs,
Russie en tête, qui refusent en quelque sorte
l’assimilation exigée.
A travers le discours de Valdaï, Vladimir Poutine réaffirme ainsi son
choix d’une politique souveraine bâtie sur des principes, et non de
fumeuses valeurs ; une politique structurante, cohérente et désormais
indépendante des errances destructrices occidentales.
Le temps du chantage, des extorsions, des manigances et des pressions
est terminé.
Le véritable choc des civilisations se déroule sous nos yeux, ici et
maintenant.
Voici de larges extraits de ce
Discours de Valdaï
de Vladimir Poutine,
sans aucun doute historique, avec des passages soulignés par nous en
gras.
Le constat
«Oui, un grand nombre des mécanismes actuels visant à assurer l’ordre
mondial ont été créés il y a très longtemps, y compris et surtout dans
la période suivant immédiatement la Seconde Guerre mondiale.
Permettez-moi de souligner que
la solidité du système créé à l’époque reposait non seulement sur
l’équilibre des forces et les droits des pays vainqueurs, mais aussi sur
le fait que les «pères fondateurs» de ce système se respectaient
mutuellement, n’essayaient pas de mettre la pression sur les autres,
mais tentaient de parvenir à des accords.
» (…) La Guerre Froide a pris fin, mais elle n’a pas pris fin avec la
signature d’un traité de paix comprenant des accords clairs et
transparents sur le respect des règles existantes ou la création d’un
nouvel ensemble de règles et de normes. Cela a créé l’impression que les
soi-disant «vainqueurs» de la Guerre Froide avaient décidé de forcer les
événements et de remodeler le monde afin de satisfaire leurs propres
besoins et intérêts. Lorsque le système actuel des relations
internationales, le droit international et les freins et contrepoids en
place faisaient obstacle à ces objectifs, ce système était déclaré sans
valeur, obsolète et nécessitant une démolition immédiate.
»Pardonnez l’analogie, mais
c’est la façon dont les nouveaux riches se comportent quand ils se
retrouvent tout à coup avec une grande fortune, dans ce cas sous la
forme d’un leadership et d’une domination mondiale, au lieu de gérer
leur patrimoine intelligemment, pour leur propre bénéfice. Aussi bien
sûr, je pense qu’ils ont commis beaucoup de folies.»
«L’emprise complète sur les médias de masse»
»Nous sommes entrés dans une période de différentes interprétations et
de silences délibérés dans la politique mondiale.
Le droit international a maintes
fois été forcé de battre en retraite, encore et encore, par l’assaut
impitoyable du nihilisme légal. L’objectivité et la justice ont été
sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique.
Des interprétations arbitraires
et des évaluations biaisées ont remplacé les normes juridiques.
Dans le même temps, l’emprise
complète sur les médias de masse mondiaux a rendu possible, quand on le
désirait, de présenter le blanc comme noir et le noir comme blanc.
» (…)La notion même de « souveraineté nationale » est devenue une valeur
relative pour la plupart des pays. En essence, ce qui était proposé
était cette formule : plus la loyauté de tel ou tel régime en place
envers le seul centre de pouvoir dans le monde est grande, plus grande
sera sa légitimité. »
»(…)Les mesures prises contre
ceux qui refusent de se soumettre sont bien connues et ont été essayées
et testées de nombreuses fois. Elles comprennent l’usage de la force, la
pression économique et la propagande, l’ingérence dans les affaires
intérieures, et les appels à une sorte de légitimité «supra-légale»
lorsqu’ils ont besoin de justifier une intervention illégale dans tel ou
tel conflit ou de renverser des régimes qui dérangent.
Dernièrement, nous avons de plus
en plus de preuves que le chantage pur et simple a également été utilisé
en ce qui concerne un certain nombre de dirigeants. Ce n’est pas pour
rien que «Big Brother» dépense des milliards de dollars pour tenir sous
surveillance le monde entier, y compris ses propres alliés les plus
proches.
»Demandons-nous à quel point nous sommes à l’aise avec tout cela, à
quel point nous sommes en sécurité, combien nous sommes heureux de vivre
dans ce monde, à quel degré de justice et de rationalité il est parvenu.
Peut-être n’avons-nous pas de
véritables raisons de nous inquiéter, de discuter et de poser des
questions embarrassantes ? Peut-être que la position exceptionnelle
des États-Unis et la façon dont ils mènent leur leadership est vraiment
une bénédiction pour nous tous, et que leur ingérence dans les
événements du monde entier apporte la paix, la prospérité, le progrès,
la croissance et la démocratie, et nous devrions peut-être seulement
nous détendre et profiter de tout cela ?
Permettez-moi de dire que ce n’est pas le cas, absolument pas le cas.
«Soutien aux néofascistes et islamistes radicaux»
»Un diktat unilatéral et le fait d’imposer ses propres modèles aux
autres produisent le résultat inverse. Au lieu de régler les conflits,
cela conduit à leur escalade ; à
la place d’États souverains et stables, nous voyons la propagation
croissante du chaos ; et à la place de la démocratie, il y a un soutien
pour un public très douteux, allant de néo-fascistes avoués à des
islamistes radicaux.
»Pourquoi soutiennent-ils de tels individus ? Ils le font parce qu’ils
décident de les utiliser comme instruments dans la voie de la
réalisation de leurs objectifs, mais ensuite, ils se brûlent les doigts
et font marche arrière. Je ne cesse jamais d’être étonné par la façon
dont nos partenaires ne cessent de marcher sur le même râteau, comme on
dit ici en Russie, c’est-à-dire de faire les mêmes erreurs encore et
encore.
»Ils ont jadis parrainé des
mouvements islamistes extrémistes pour combattre l’Union soviétique. Ces
groupes se sont formés au combat et aguerris en Afghanistan, et ont plus
tard donné naissance aux Talibans et à Al-Qaïda. L’Occident les a sinon
soutenus, du moins a fermé les yeux sur cela, et, je dirais, a fourni
des informations et un soutien politique et financier à l’invasion de la
Russie et des pays de la région d’Asie centrale par les terroristes
internationaux (nous ne l’avons pas oublié). C’est seulement après que
des attaques terroristes horribles aient été commises sur le sol
américain lui-même que les États-Unis ont pris conscience de la menace
collective du terrorisme. Permettez-moi de vous rappeler que nous
avons été le premier pays à soutenir le peuple américain à l’époque, le
premier à réagir comme des amis et partenaires après la terrible
tragédie du 11 Septembre.
»Quant aux sources de
financement, aujourd’hui, l’argent ne vient plus seulement de la
drogue, dont la production a
augmenté non pas de quelques points de pourcentage mais dans des
proportions considérables depuis que les forces de la coalition
internationale sont intervenues en Afghanistan.
«Recours tentant à une première frappe nucléaire»
»
(…)Cette période de domination unipolaire a démontré de manière
convaincante que le fait d’avoir un seul centre de pouvoir ne rend pas
les processus mondiaux plus faciles à gérer.
Au contraire, ce type de construction instable a montré son incapacité à
lutter contre les menaces réelles telles que les conflits régionaux, le
terrorisme, le trafic de drogue, le fanatisme religieux, le chauvinisme
et le néonazisme. »Dans le même
temps, il a ouvert une large voie aux fiertés nationales exacerbées, à
la manipulation de l’opinion publique, ainsi qu’à la brutalisation et à
l’oppression des faibles par les forts.
Les États-Unis ont toujours dit à leurs alliés : «Nous avons un
ennemi commun, un ennemi terrible, le centre du mal, et nous vous
protégeons, vous nos alliés, de cet ennemi, et nous avons donc le droit
de vous donner des ordres, de vous forcer à sacrifier vos intérêts
politiques et économiques et à payer votre quote-part des coûts de cette
défense collective, mais nous serons les responsables de tout cela bien
sûr.» En bref, nous voyons
aujourd’hui des tentatives, dans un monde nouveau et changeant, de
reproduire les modèles familiers de la gestion globale, et tout cela de
manière à garantir aux États-Unis leur situation exceptionnelle et à
récolter des dividendes politiques et économiques.
»Aujourd’hui, de nombreux types d’armes de
haute précision sont déjà assimilables à des armes de destruction
massive en termes de capacité, et en cas de renonciation complète aux
armes nucléaires ou de réduction radicale du potentiel nucléaire, les
nations qui sont des leaders dans la création et la production de
systèmes de haute précision auront un net avantage militaire.
La parité stratégique sera perturbée, ce qui est susceptible d’entraîner
de la déstabilisation. Le recours à une soi-disant première frappe
préventive globale peut devenir tentant. En bref, les risques ne
diminuent pas, mais s’intensifient.
»D’ailleurs, nos collègues ont alors essayé de contrôler plus ou
moins ces processus, d’exploiter
les conflits régionaux et de concevoir des révolutions colorées en
fonction de leurs intérêts, mais le génie s’est échappé de la lampe. Il
semble que les pères de la théorie du chaos contrôlé eux-mêmes ne
sachent plus quoi en faire ; il y a confusion dans leurs rangs.
Le rappel du droit international
»Nous suivons de près les discussions à la fois au sein de l’élite
dirigeante et de la communauté des experts. Il suffit de regarder les
gros titres de la presse occidentale de l’année dernière.
Les mêmes personnes sont
appelées des combattants pour la démocratie, puis des islamistes ;
d’abord, ils parlent de révolutions, puis ils parlent d’émeutes et de
soulèvements. Le résultat est évident : la propagation du chaos mondial.
»J’ajouterais que les relations
internationales doivent être basées sur le droit international, qui
lui-même doit reposer sur des principes moraux tels que la justice,
l’égalité et la vérité. Peut-être le plus important est-il le respect de
ses partenaires et de leurs intérêts. C’est une formule évidente, mais
le fait de la respecter, tout simplement, pourrait changer radicalement
la situation mondiale.
L’Ukraine
»(…)Je voudrais vous rappeler les événements de l’année dernière
[en Ukraine]. Nous avions prévenu
nos partenaires américains et européens que les décisions hâtives prises
en coulisses, par exemple, sur l’association de l’Ukraine avec l’UE,
étaient emplies de risques graves pour l’économie. Nous n’avons pas même
évoqué les problèmes politiques ; nous n’avons parlé que de l’économie,
en disant que de telles mesures, mises en place sans arrangements
préalables, nuiraient aux intérêts de nombreux autres pays, dont la
Russie – en tant que principal partenaire commercial de l’Ukraine –, et
qu’un large débat sur ces questions était nécessaire. D’ailleurs, à cet
égard, je vous rappelle que par exemple, les négociations sur l’adhésion
de la Russie à l’OMC ont duré 19 ans. Ce fut un travail très difficile,
et un certain consensus a finalement été atteint.
»Pourquoi est-ce que je soulève
cette question ? Parce qu’en mettant en œuvre ce projet d’association
avec l’Ukraine, nos partenaires seraient venus à nous avec leurs biens
et services par la porte arrière, pour ainsi dire, et nous n’avons pas
donné notre accord pour cela, personne ne nous a rien demandé à ce
sujet. Nous avons eu des discussions sur tous les sujets liés à
l’association de l’Ukraine avec l’UE, des discussions persistantes, mais
je tiens à souligner que notre action a été menée d’une manière tout à
fait civilisée, en indiquant des problèmes possibles, et en soulignant
les raisonnements et arguments évidents.
Mais personne ne voulait nous
écouter et personne ne voulait discuter. Ils nous ont simplement dit: ce
ne sont pas vos affaires, point, fin de la discussion. Au lieu du
dialogue global mais – je le souligne – civilisé que nous proposions,
ils en sont venus à un renversement de gouvernement; ils ont plongé le
pays dans le chaos, dans l’effondrement économique et social, dans une
guerre civile avec des pertes considérables.
»Pourquoi ? Quand je demande à mes collègues pourquoi, ils n’ont plus de
réponse ; personne ne dit rien. C’est tout. Tout le monde est désemparé,
disant que ça c’est juste passé comme ça. Ces actions n’auraient pas dû
être encouragées – cela ne pouvait pas fonctionner. Après tout (je me
suis déjà exprimé à ce sujet), l’ancien président ukrainien Viktor
Ianoukovitch avait tout signé, il était d’accord avec tout. Pourquoi
ont-ils fait ça ? Dans quel but ? Est-ce là une manière civilisée de
résoudre les problèmes ?
Apparemment, ceux qui fomentent constamment de nouvelles « révolutions
colorées » se considèrent comme de « brillants artistes » et ne peuvent
tout simplement pas s’arrêter.
La Russie a fait son choix
» (…)La
Russie a fait son choix. Nos priorités sont d’améliorer encore nos
institutions démocratiques et notre économie ouverte, d’accélérer notre
développement interne, en tenant compte de toutes les tendances modernes
positives observées dans le monde, et en consolidant notre société sur
la base des valeurs traditionnelles et du patriotisme.
Nous avons un agenda pacifique
et positif, tourné vers l’intégration. Nous travaillons activement avec
nos collègues de l’Union économique eurasienne, de l’Organisation de
coopération de Shanghai, du BRICS et avec d’autres partenaires. Ce
programme vise à renforcer les liens entre les gouvernements, pas à les
fragiliser. Nous ne prévoyons pas de façonner des blocs ou de
participer à un échange de coups.
Les allégations et déclarations
selon lesquelles la Russie essaie d’établir une sorte d’empire,
empiétant sur la souveraineté de ses voisins, n’ont aucun fondement.
La Russie n’a pas besoin d’un quelconque rôle spécial ou exclusif dans
le monde – je tiens à le souligner.
Tout en respectant les intérêts
des autres, nous voulons simplement que nos propres intérêts soient pris
en compte et que notre position soit respectée.
Nous sommes bien conscients du fait que le monde est entré dans une ère
de changements et de transformations globales, dans laquelle nous avons
tous besoin d’un degré particulier de prudence et de la capacité à
éviter toutes mesures irréfléchies.
Dans les années suivant la
guerre froide, les acteurs politiques mondiaux ont en quelque sorte
perdu ces qualités. Maintenant, nous devons nous les rappeler. Sinon,
les espoirs d’un développement stable et pacifique seront une illusion
dangereuse, tandis que la crise d’aujourd’hui servira simplement de
prélude à l’effondrement de l’ordre mondial.
Oui, bien sûr, j’ai déjà souligné que la construction d’un ordre mondial
plus stable est une tâche difficile. Nous parlons d’une tâche longue et
difficile. Nous avons réussi à élaborer des règles pour l’interaction
après la Seconde Guerre mondiale, et nous avons pu parvenir à un accord
à Helsinki dans les années 1970.
Notre devoir commun est de résoudre ce défi fondamental à cette nouvelle
étape du développement. »
Conclusions
A n'en pas
douter, c'est bien un véritable choc des civilisations qui se déroule
sous nos yeux.
D'un côté, il y a un Bloc atlantiste qui a bâti sa grandeur grâce au pillage, au
meurtre, à la menace, l'extorsion et la dévastation à l'échelle
mondiale, édifiant des sociétés du chacun pour soi, du tous contre tous,
des sociétés de la division, de l'atomisation des individus dans
l'hystérie consumériste pour le seul profit du marché. Entré en phase de
déclin naturel, ce Bloc se bat aujourd'hui pour que rien ne change, pour
qu'il puisse poursuivre sa rapine planétaire et incorporer les dernières
nations résistantes dans l'immense société unique de son
Système totalitaire; il se bat "pour perdurer dans son être".
De l'autre, il y a les pays déjà pillés, en train de l'être, ou menacés
de l'être, à qui on veut imposer de soi-disantes "valeurs" qui bien
souvent représentent de véritables injures à leur culture, à leur différence. Ces pays se
rebellent, s'organisent et, Russie en tête, forment aujourd'hui le front
du refus de cette immense entreprise d'abolition de l'homme.