Du rêve éveillé de Stratfor à l’assassinat de Nemtsov
03/03/2015 Véritable «CIA privée», le groupe Stratfor conseille aussi
bien l’administration US que des patrons de multinationales désireux
d’opérer quelques nouvelles rapines «abroad» en limitant les
risques. C’est une agence qui compte. Ses prévisions sont donc un
excellent baromètre non pas de la «vérité de la situation», loin
s’en faut, mais de la perception US de cette situation. Et là, la
grande «Prospective 2015-2025» que vient de nous pondre Stratfor
vaut son pesant de cacahuètes : effondrement de la Russie ;
fragmentation de l’Europe ; reflux chinois et, bien sûr, triomphe total
d’un Empire US plus puissant et prospère que jamais.
L’analyse de
Stratfor est si grossièrement biaisée que si elle ne dit rien de ce qui
pourrait advenir, elle révèle beaucoup des ambitions stratégiques qui
commandent actuellement aux actions de l’Empire. Ambitions au service
desquelles Nemtsov est peut-être devenu une victime expiatoire.
Une guerre hégémonique
On ne le répètera jamais assez. La nouvelle guerre froide qui
se déroule sous nos yeux depuis le début 2014 a été délibérément voulue
par Washington. Pour tenter de freiner leur déclin et de contrer la
montée en puissance des pays émergeants, les USA ont en effet décidé de
fracturer l’Eurasie, avec deux objectifs principaux:
Le premier est d’empêcher définitivement la constitution d’un Bloc
concurrent Euro-BRICs en brisant la dynamique de rapprochement naturel
entre l’Europe et la Russie. Et quoi de mieux qu’une guerre pour ce
faire. La guerre froide 2.0 d’aujourd’hui a ainsi été préparée de
longue date avec l’aide de tout l’appareil «merdiatique» atlantiste qui,
depuis des années, travaille l’opinion publique occidentale au corps
pour y semer la nécessaire haine du Russe qui prospère aujourd’hui.
Le deuxième objectif est de casser la dynamique du BRICs. En mettant la
Russie à genoux, les USA pensent pouvoir briser la constitution de ce
bloc rival et montrer aux autres puissances émergentes qui en font
partie (Chine-Brésil-Inde notamment), que les USA restent les
patrons de la planète et qu’on ne les défie pas impunément.
En prophétisant l’effondrement de la Russie, la fragmentation de
l’Europe, le reflux de la Chine et, surtout, le maintien du statut
incontesté d’hyperpuissance militaire et économique des USA, Stratfor ne
fait donc pas de prévisions basées sur une analyse objective des faits,
mais nous confirme bien involontairement les ambitions stratégiques qui
commandent actuellement aux actions de l’Empire.
L’aveu de Friedman
Des ambitions qui passent bien évidemment par la crise ukrainienne (1),
dont le patron de cette même agence Stratfor, George Friedmann, avait
attribué la responsabilité du déclenchement aux USA lors d’une interview
accordée au quotidien russe Kommersant, le 21 décembre dernier (2).
Verbatim :
«(…) Au début de cette année [2014], il existait en Ukraine un
gouvernement assez pro-russe mais très faible. Cette situation convenait
parfaitement à la Russie: après tout, la Russie ne voulait pas contrôler
complètement l’Ukraine ni l’occuper; il était suffisant pour elle que
l’Ukraine ne rejoignît ni l’OTAN ni l’UE. Les autorités russes ne
peuvent tolérer une situation où des forces militaires occidentales
seraient stationnées à une centaine de kilomètres de Koursk ou de
Voronezh.
»Les USA, pour leur part, étaient intéressés par la formation
d’un gouvernement pro-occidental en Ukraine. Ils voyaient que la
puissance russe augmentait et ils cherchaient à empêcher la Russie de
consolider cette position dans l’espace post-soviétique. Le succès des
forces pro-occidentales en Ukraine devait permettre de contenir la
Russie.
»La Russie définit
l’événement qui a eu lieu au début de cette année [en février
2014] comme un coup d’Etat
organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup [d’État] le
plus flagrant dans l’histoire.»
» (…) Le point central, l’argument fondamental, c’est que
l’intérêt stratégique des USA est
d’empêcher la Russie de devenir hégémonique.
Nemtsov, victime expiatoire ?
Contrer la montée en puissance de la Russie constitue donc un
objectif stratégique des USA. Et lorsqu’il s’agit de briser un
adversaire, les pressions extérieures
(chantage, sanctions, pressions
économiques voire militaires) s’accompagnent toujours de pressions
intérieures pour affaiblir l’adversaire.
Dans le pays-cible, le soutien massif aux oppositions et activistes de
tous poils fait ainsi partie des missions classiques des officines de
renseignements US. Les actions de déstabilisation intérieures pouvant
bien évidemment aller jusqu’à l’assassinat selon l’intérêt du moment.
Dès lors, pour coller à l’actualité, faut-il classer l’assassinat de
Nemtsov dans la catégorie false-flag
made in CIA ? Il est clair que
sacrifier ce personnage, devenu un
has been de l’opposition russe depuis quelques années, entrait
parfaitement dans les critères opérationnels acceptables de l’agence
compte-tenu des bénéfices qu’elle pouvait en tirer (3).
Le modus operandi des tueurs
soulève d’ailleurs bien des questions embarrassantes pour la narrative
officielle de notre presse-Système (4).
Pour l’inoxydable Gorbatchev en tous cas, c’est clairement une
provocation destinée à déstabiliser le pays (5).
Même l’opposition russe a rechigné à incriminer le Kremlin (6),
une pudeur que ne connaissent évidemment pas les merdias
bobo-atlantistes qui sévissent ici (7).
En tout état de cause, d’où que vienne le coup, l’assassinat de Nemtsov
joue pleinement son rôle déstabilisateur pour la Russie de Poutine. Et
il y a fort à parier que les USA vont capitaliser là-dessus, pousser
aussi loin qu’ils le peuvent leur avantage, ce qui laisse augurer d’un
durcissement de l’hystérie antirusse à Washington.
Une hystérie qui va sans doute pousser nos vertueux stratèges US à
remettre très vite sur la table l’option d’une livraison d’armes à la
junte de Kiev, histoire d’alimenter l’incendie d’une
guerre froide 2.0 qui a
décidément de très beaux jours devant elle.
Mis en ligne par entrefilets.com
le lundi 3 mars 2014
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